- Putain... mais qu'est-ce que t'as fait, mais qu'est-ce que t'as fait... mais qu'est-ce que t'as fait....Trois heures du matin, en plein milieu d'une forêt. Il fait froid, c'est l'hiver et la lune à son zénith observe d'un œil inquiet les deux hommes qui semblent se trouver là où ils ne devraient pas.
- Mais qu'est-ce que t'as fait...
En boucle, cette phrase tourne dans la tête d'un plus jeune qui s'est assis sur un tronc d'arbre. Ses jambes ne le soutiennent plus et bientôt, l'esprit lâchera lui aussi, l'entraînant dans une spirale infernale de culpabilité. Cette sombre litanie lui arrache la gorge, chaque fois que ces quelques mots osent s'échapper de ses lèvres. Il semble ne pouvoir dire que ça, répétant inlassablement les mêmes paroles comme si elles étaient son châtiment.
Il tremble de toute part, ses mains dans lesquelles il a enfoui son visage étouffent le son de sa voix brisée mais cette kyrielle itérative parvient aux oreilles de l'autre homme qui se trouve un peu plus loin.- Qu'est-ce que t'as fait, mais qu'est-ce que t'as fait...
L'autre homme est plus vieux d'une dizaine d'années et il accompagne à la pelle la plainte angoissée qui se perd dans la nuit. Le bruit d'une terre qu'on profane pour y nicher un bien sombre secret transperce le quasi silence de l'instant. Lorsque le métal bute contre une quelconque caillasse, l'écho qui en résulte embroche son cœur un peu plus à chaque fois. Il doit tenir bon, il le sait. Il creuse, il creuse, il creuse pour couvrir les gémissements de celui qui est toute sa vie.
- Guillaume, qu'est-ce que t'as fait... qu'est-ce que t'as fait.....
Il veut le prendre dans ses bras et lui assurer que tout ira bien mais son mouvement est mécanique. Il creuse aussi profond qu'est son mal-être à cet instant. Le jeune homme sur le tronc d'arbre se balance d'avant en arrière, il est en état de choc. Son pull est maculé de tâches de sang, comme l'est celui de Guillaume qui creuse, creuse, creuse encore et encore.
Le vent frappe violemment le visage creusé du plus vieux et lui brûle la peau. Ses mains le font souffrir à force d'empoigner avec force le manche de la pelle mais il s'accroche à celle-ci comme un désespéré, elle est seule chose rationnelle dans leur monde à cet instant.
- Mais qu'est-ce...
- Aurélien.
Aurélien relève difficilement la tête. Ses yeux sont mouillants, il a du sang sur le visage et ses cheveux sont en bataille. Il a envie de vomir.
- Aurélien...
Guillaume lâche la pelle et marchent vers lui d'un pas rapide. Il s'agenouille pour être à sa hauteur et prend son visage dans ses mains. Putain qu'il est beau, se dit-il. La lune éclaire Aurélien d'un halo bleuté et sa beauté enfantine ne semble pas avoir été écorchée ce soir.
- Aurélien, regarde moi, l'intime Guillaume.
Il lève ses grands yeux sombres vers lui et est prit d'un haut-le-cœur. Il pousse Guillaume qui tombe a la renverse sur l'herbe mouillée et se met à vomir. Il tousse, se force à garder les yeux ouverts pour ressentir la douleur au plus profond de lui. Il s'inflige cette peine et son cœur se brise lorsqu'il sent la main de Guillaume caresser son dos. Il lui prend les cheveux et les ramène sur le côté. Aurélien continue de souiller le sol boueux de la foret pendant quelques minutes avant de reprendre sa respiration.
- Bébé, je suis là... Ca va mieux ?
Hochement de tête. Aurélien essuie sa bouche avec la manche de son pull et prend la main que Guillaume lui tend.
- Bébé faut que tu m'aides, je peux pas le faire tout seul.
- J'peux pas...
- Aurélien, mon amour, j'ai besoin ton aide...
Son ton se veut rassurant. Aurélien le regarde, plantant ses yeux dans les siens et se résigne à l'aider. Par amour, il ne peut pas le laisser tout encaisser. Il se lève et marche péniblement jusqu'au trou béant que Guillaume a creusé un peu plus tôt. En voyant la profondeur, il est prit d'un vertige et fait quelque pas en arrière. Guillaume le retient dans ses bras et lui embrasse le front.
- Il faut qu'on le fasse... Soit fort, Orel. Soit fort.
Aurélien acquiesce silencieusement. L'odeur qui émane de l'herbe mouillée mêlée à celle de la terre labourée le ramène tout droit en enfance, chez ses grands parents. Il aide son grand père à planter des tomates au printemps dans le jardin, il n'enterre pas dans la forêt le corps sans vie d'un autre être humain.
- Bébé, attrape ce côté là...
Guillaume se penche, le souffle court. Il a tellement creusé que ses bras sont courbatus et endoloris. Aurélien regarde le cadavre que Guillaume a enroulé d'une couverture qui repose immobile sur le sol. Il jette ensuite un œil triste à son petit ami qui l'encourage avec un petit sourire. Il faut qu'il s'exécute, il n'a pas le choix. Ils n'ont pas le choix. Aurélien pardonnera à Guillaume, il lui a déjà pardonné même.
- Mais qu'est-ce qu'on vient de faire, Guillaume...
*
La forêt abrite maintenant un secret de plus, la lune pour seul témoin. Cette dernière, soucieuse, peine à guider leurs pas jusqu'à l'orée des bois où dorénavant ils devront faire comme si.
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Hello :-) j'ai essayé un truc un peu différent. N'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez, je ne sais pas encore si je vais écrire une suite, ça dépendra des retours que j'aurais :-) bisous 🦐