Chapitre 3/ Meilleur ami

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Vendredi soir ; 18h15

Café de la Défense

Table n°6



« C'était quoi ton projet en fait ce week-end ? »

Je descendis une longue rasade de bière avant de reposer ma chope. Il me regarda par-dessus son verre, fatigué, ses cheveux bruns défaits mais couverts de paillettes. Il avait obtenu le rôle principal dans la pièce jouée par le lycée, il jouerait Oscar Wilde. Je lui avais proposé une bière au café où nous allions tout le temps, mais je sentais une tension dans l'air, et j'en redoutais l'origine.

« C'est tombé à l'eau. Mon cousin faisait une soirée dans la Villa de ses parents.

- Tu sais que j'aime pas ce genre de choses.

- C'es tombé à l'eau je t'ai dit. Ses parents ne partent pas. »

Je vidais la fin de ma chope en soupirant. Il ne buvait pas, jouait avec l'alcool qui tanguait très près du bord.

« On peut faire autre chose, non ?

- Je croyais que tu ne pouvais pas.

- Antoine putain ! Rends-pas les choses plus compliquées je t'en supplie. C'est déjà un tel bordel en ce moment, j'ai pas besoin de ça. Pas toi. »

Parce que je savais que c'était la solution magique avec lui, je me penchais, le regardant droit dans les yeux. Par réflexe, il fit la même chose. Tout semblait devenir plus lent quand on était aussi proche, une bulle qui se créait autour de nous et je savais qu'il ne m'en voulai pas. Je me disais que parfois, je jouais dangereusement, qu'un jour peut-être je regretterai d'avoir agi comme ça avec lui, que parfois, aucun de nous deux ne savait où commençait et où s'arrêtait le jeu. Mais je tenais à lui, et il était le seul élément extérieur à ma vie qui pouvait me faire penser à autre chose.

« Je suis désolé, je ne voulais pas être méchant.

- C'est pas grave, j't'en veux pas.

- Mais... Je peux pas te dire, j'ai pas envie qu'il y est ça entre nous, tu vois ? J'ai tout fait pour être quelqu'un d'autre.

- Je sais, je ne suis pas stupide Myron.

- Je sais, c'est pour ça que tu es mon meilleur ami. »

Enfin il sourit, je me reculais. Il descendit d'une gorgée sûre la moitié de sa pinte sans me quitter des yeux. Il y avait pas mal de bruit autour de nous, les lycéens en weekend qui viennent célébrer la fin de la semaine. Plusieurs louchaient vers nous et nos deux bières ; je faisais partie des quelques lycéens majeurs. Antoine, comme toujours quand il était avec moi au milieu de nos « camarades », ne faisait pas attention à eux. Je savais qu'il avait d'autres amis, d'autres connaissances, il était même plutôt populaire avec sa belle gueule et sa bonne humeur. Mais quand il était avec moi, il était exclusif, il savait que je ne supportait personne d'autre.

« Bon, alors on sort ce soir ?

- Si tu veux oui, acceptais-je.

- Ok ! On peut aller en boîte ? Ce soir au Saphir c'est soirée moins de vingt-cinq ans. »

Officiellement, Antoine n'était pas majeur. Officieusement, il savait qu'il pouvait entrer en payant grassement le videur. Officiellement, Antoine pensait que je m'entendais bien avec Clem, le barman et que je nous avais des verres gratuits. Officieusement, il ne savait pas qu'il m'était arrivé de démonter plusieurs fois le barman dans les vestiaires jusqu'à lui faire crier mon nom. Je haussais les épaules, ce n'était pas vraiment ce dont j'avais envie, mais il y aurait de l'alcool et de quoi penser à autre chose.

« Va pour le Saphir.

- Cool, tu pourras dormir à la maison si tu veux.

- On verra. »

Il y a des vérités qu'il vaut mieux taire, et des limites qu'il ne vaut mieux pas franchir. S'attacher aux gens, leur donner votre confiance, leur dire qui vous êtes vraiment, c'est prendre des risques, se mettre en danger ; et je détestais ça.


En début de soirée, j'attendais Antoine au bout de sa rue. Je ne voulais pas aller jusque devant chez lui, rencontrer ses parents et caresser son chien. Je ne voulais pas être poli et agréable, ni être le meilleur ami que l'on invite à manger.

Il arriva en courant, ses cheveux débarrassés de leurs paillettes, une veste de costume grise sur un tee-shirt blanc. Antoine était beau, mais il commun. Je savais qu'il plaisait aux filles, et il était gentil, mais il lui manquait quelque chose.

Poupées Russes [BxB]  AUTO-EDITEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant