1 - La piscine

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- Tu penseras à arrêter la clim' en partant ? Ma collègue me dépose une bise et se sauve, toute guillerette pour aller à son rendez-vous à l'autre bout de l'île.

Un souffle d'air chaud s'infiltre dans l'agence de voyage comme elle ouvre la porte. Il doit bien faire quarante degrés dehors ! Depuis deux semaines, il m'est impossible de partager sa légèreté et son insouciance. Mon ex-demi-frère Kévin et mon ex-patron et père biologique Richard sont actuellement en séminaire sur l'île, comme par hasard. Fort à parier qu'ils ne viennent certainement pas jusqu'ici juste pour me rendre une visite de courtoisie mais pour me convaincre de rentrer en France avec eux. Je les aime et ils me manquent. Cependant, cette séparation choisie m'a semblée la meilleure option pour tenter de mener une vie affective sereine.

Juste avant mon déménagement avec Cédric, mon petit ami, Kévin et moi avons été trop loin dans notre relation. Quelques mois auparavant, après avoir cru pendant des années que nous étions demi-frères, nous avons appris, suite à un test génétique, que Richard était mon véritable géniteur. Kévin et Richard sont deux avocats associés, j'ai aussi travaillé dans leur cabinet. Kévin et moi n'avions alors plus de lien de parenté. Notre relation, depuis l'adolescence est encore plus complexe, faite d'attirance et d'interdit, surtout de mon côté. Kévin a toujours été mon garde-fou dans ses moments là. En apprenant que je n'étais plus sa demi-sœur, il a décompensé et ne savait plus comment se comporter avec moi. Une nuit à suffi pour se rapprocher, trop près. Fini le garde-fou, mon attirance pour lui était enfin réciproque. Il s'en est fallu d'un cheveu ou plutôt de quelques centimètres pour qu'elle se concrétise en un acte passionné. Depuis six mois, j'ai commencé, avec l'aide de Cédric, à reconstruire une vie normale, sans Kévin. Alors, quand j'ai reçu ce mail à l'agence me demandant de réserver des chambres d'hôtel pour un séminaire d'avocats, j'ai compris que tout recommençait.

J'ignore comment ils ont retrouvé ma trace. A part eux, je n'ai plus de famille en France. Ma mère est décédée l'année passée. Ils ont de toute évidence, le bras suffisamment long pour pister ma trace à travers le globe. Je jette un œil sur l'écran de mon Smartphone. Ils ont même récupéré mon numéro et m'invitent à les rejoindre cet après-midi dans leur hôtel. Je pourrais décliner l'invitation, leur dire que si j'ai pris la fuite, c'est pour recommencer une nouvelle vie loin de Kévin. Mais Richard l'accompagne. Il est la seule famille qu'il me reste. Ces derniers mois, nous avons appris à nous connaitre, il a souhaité me faire une place dans sa vie. Je ne peux quand même pas le repousser.

Malgré la chaleur étouffante de ce mois de Décembre, je claque des dents en présentant ma carte de l'agence à la réception du Key Largo Resort. Le réceptionniste m'indique que ses clients m'attendent près de la piscine. Mon ascenseur émotionnel est complètement déréglé. J'éprouve une grande joie à l'idée de revoir mon père, et en même temps, je suis envahie par une panique croissante à mesure que je longe le patio bordé de palmiers. Je m'arrête devant une vitre, vérifie mon allure. Mon short est-il trop serré, je ne voudrais pas envoyer un message contradictoire à Kévin. J'ai tellement peur de mes sentiments pour lui. J'ai l'impression de ne plus rien maitriser. Les transats sont vides à cette heure. Normal, qui irait se faire bronzer dans une rôtissoire ? Les haut-parleurs diffusent une musique sirupeuse. Quelques rares enfants pataugent dans la piscine mais vu les tarifs pratiqués par l'hôtel, peu de familles peuvent se permettre cet hébergement. L'hôtel se rattrape donc avec les séminaires et les lunes de miel. Mais où sont –ils ? Je les cherche du regard. Un comble ! Ils sont censés m'attendre.

Une main se pose sur mon épaule. Conjugué à mon état de stress, ce geste inattendu me fait sursauter. Je me retourne avec appréhension sur...Richard. Ouf ! Un peu de sursis. Je ne l'ai quasiment jamais vu autrement qu'en costume cravate ou au moins en chemise, c'est donc à son sourire que je le reconnais derrière ses lunettes de soleil. Il ouvre les bras et sans rien trouver à dire, je viens me blottir contre son débardeur. Une partie de mon anxiété commence à s'évacuer. Il m'invite à le rejoindre à sa table. Nous sommes à l'ombre. Une légère brise rend l'atmosphère presque agréable. Il a l'air très détendu. Les vaguelettes de la piscine se reflètent dans ses lunettes. Un serveur nous apporte un cocktail à la décoration fruitée pompeuse. On parle de leur voyage, du cadre idyllique de l'île. Je n'ose pas lui demander où est Kévin. En écho à mes pensées, Richard lance en regardant derrière moi :

- Ah ! Le voilà, notre Don Juan.

Je me retourne et le vois sortir de la piscine. Cela ne fait que quatre jours qu'ils sont arrivés et il est déjà bronzé. A croire, qu'il ne perd jamais sa couleur. Je ne peux m'empêcher d'admirer son torse sur lequel j'ai fait courir mes mains une nuit d'avril. Je ne dois pas être la seule à l'avoir remarqué, deux mères de familles assises les pieds dans l'eau reluquent dans sa direction.

- Maman ! Regarde-moi plonger ! Crie un des gamins. En vain, sa mère a un autre centre d'intérêt.

Il se passe la main dans les cheveux pour les essorer. Ses abdos ! Non, ne regarde pas. Impossible ! Il est presque à poil. Le film de notre dernière nuit passe en accéléré dans ma tête. D'ici à ce qu'il nous rejoigne je vais complètement me liquéfier. J'essaie de guérir de lui mais je ne suis qu'en convalescence. Pourquoi m'inflige t-il ce spectacle, le bougre ? Il repère Richard et se dirige vers nous. Je lui tourne le dos. Mon baromètre de panique approche dangereusement du rouge. Il pose à son tour ses deux mains sur mes épaules. Cette fois, le geste me pétrifie.

- Ca va, petite sœur ?

Comment peut-il me parler avec autant de légèreté ? J'ai fuit loin de lui au bout du monde. A l'entendre, on s'est quitté la veille.

- Elle est un peu tendue notre petite Sofia.

Richard s'en est rendu compte. Sait-il pourquoi ? Sûrement pas, j'imagine. Kévin prend place à ma gauche.

- Tu pourrais mettre un tee-shirt, Luciano. Tu vas affoler les femmes. Le taquine Richard.

Les femmes ? Probablement. En ce qui me concerne, le mal est déjà fait.

- Désolé, il fait trop chaud.

Ah ! En plus, il va rester nous faire la conversation, en maillot. Cool...

- On vient te rendre une petite visite. Cette île est magnifique. Devise Richard.

Mon côté agence de voyage prend aussitôt le relai. Heureusement car une partie de mon cerveau est déjà déconnectée.

- Oui. La côte Est réserve de très belles surprises. Les cascades valent le détour.

Kévin m'observe silencieusement, tentant de deviner mon expression. Heureusement, mes lunettes de soleil en dissimulent une bonne partie. Il continue pourtant de me regarder intensément. S'en est gênant. Je poursuis mon éloge sur les incontournables de la région quand il attrape ma main et déclare :

- Tu m'as tellement manqué.

C'est à peine croyable, je dois être stressée à bloc car à son contact je ressens une décharge électrique. L'adrénaline prend le relai et avec, l'envie de fuir. Je me lève d'un bond.

- Je dois te quitter, j'ai un rendez-vous très important, je prétexte à l'attention unique de Richard.

Je recule trop prestement. Ma tong s'accroche dans le fil de la sono qui serpentait près d'une jardinière. Je perds l'équilibre, mouline un moment des bras puis bascule dans la piscine. Les touristes autour s'en amusent. L'eau trouble ma vue. Je voudrais rester au fond, ne plus remonter, en finir avec cette existence qui se joue de moi et me malmène continuellement. J'ai perdu l'envie de lutter, je préfère me laisser sombrer. Pourquoi en suis je rendue à penser cela ? Les bruits s'assourdissent à mesure que je me laisse couler. Tout à coup, une main m'attrape et me hisse malgré moi, hors de l'eau. Bien sûr c'est Kévin qui est venu à mon secours. Je tousse, crache mes poumons et tout le chlore qui s'y trouve. Le maître-nageur s'affaire autour de mon épave échouée sur les dalles. Je l'entends appeler les secours. Impossible de parler mais je lève le bras en signe de protestation. Je vais bien. Je vis seulement un cauchemar éveillée.

L'audacieuse Sofia Capriaglini Tome 3 : délit de fuiteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant