Try to Breathe

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L'incube sonna à la porte. Il était presque 2h du matin. Pour lui, sa journée venait de commencer. Son premier client. 

Lorsque la dite porte s'ouvrit, un homme négligé se présenta devant lui. Ce dernier était torse nu et vêtu d'un pantalon en crin blanc beaucoup trop grand pour lui. Quoique, après examen visuel rapide, l'incube pencha plutôt pour de la sous alimentation et un déni certain pour l'apparence. Tout ce qu'il aimait en perspective.

Il soupira et entra. Il se racla la gorge et décida d'aller directement dans le vif du sujet.

- Tu veux combien de temps ? C'est 50 000 yen l'heure.

- 30 minutes suffiront, lui répondit son client d'un ton sec, sans même daigner le regarder.

- On compte pas les demi-heure, toute heure commencée est due.

- Va pour 1h mais tu dégages quand je le dirais.

L'incube ne s'offusqua pas d'être traité de la sorte. Après tout, il avait l'habitude de tomber sur de parfaits connards qui semblaient plus polis une fois leurs couilles vidées.

- Qu'est-ce que tu veux que je fasse ?

- Que tu arrêtes de parler et que tu me suces. Garde tes fringues, ordonna le client.

L'incube observa de nouveau le propriétaire des lieux. Un détail simple lui avait échappé maintenant qu'il voyait le haut de son dos. Cet homme bourrin et négligé... Cette marque vermillon si caractéristique et si rare.

- Tu es un feng n'est-ce pas ? Je croyais que vous aviez disparu de la circulation, se risqua-t-il à demander.

Aucune réponse. 

Il avait osé poser une question personnelle à un client, ce qui était formellement interdit. 

Il jouait son emploi à tenter le diable mais c'était plus fort que lui.

- Mêle toi de ce qui te regarde, l'incube, et fais ce pour quoi je t'ai appelé, répliqua l'inconnu d'une voix grondante.

L'incube s'exécuta et vint se placer entre les jambes de son client. Avec des gestes simples et rapides, sans un mot, il fit descendre le vêtement jusqu'au sol. Sa bouche se mit à l'œuvre. L'affaire ne dura que quelques minutes, ce qui surprit le jeune homme. La semence était également épaisse et au goût âcre.

« Pas de baise depuis un bon moment hein », pensa-t-il.

Il se releva et s'essuya la bouche avec un mouchoir tiré d'un paquet de sa veste.

- Bien ça fait 20 minutes mais si tu veux...

- Pars.

- Haaaa écoute... je fais pas dans l'histoire perso de mes clients et je m'en fous en général même mais... je crois pas que tu seras en sécurité ici.

Pourquoi essayait-il de discuter avec lui déjà ? Il regretta presque ses paroles quand son client posa sur lui un regard sombre et menaçant.

- Qu'est-ce que tu dis ?

- Il y a encore des cartons non déballés dans ta cuisine et dans l'entrée, et si tu connaissais la ville, tu aurais tiqué sur mes tarifs... je suis pas une pute de luxe. Donc j'en déduis que tu es nouveau en ville. Et je ne comprends pas non plus « ça », fit-il en le désignant de haut en bas.

- Tu me fatigues... Ta pipe était bien, je te paierais ce que tu demandes mais va-t'en.

Sa voix était devenue en un instant presque suppliante, dénuée de toute intonation.

- Comment une créature aussi majestueuse que toi a-t-elle pu tomber aussi bas ? demanda l'incube en se rapprochant de lui doucement, pour ne pas l'effrayer.

- Dégage de chez moi, souffla l'autre homme, revenu sur la défensive.

- Tu sais, je suis pas très fort physiquement parlant mais dans ton état actuel, j'aurais aucun mal à te foutre une droite qui te laissera le cul par terre et honnêtement, abîmé un aussi joli petit cul c'est un crime.

- Qu'est-ce que tu ne comprends pas à la fin ? Je vais te payer alors qu'est-ce que tu veux ? MERDE !!

Ha. Visiblement, l'humour ça ne marchait pas très bien non plus.

Pour la première fois depuis qu'il était rentré dans cet appartement miteux, les yeux de l'incube croisèrent ceux de l'inconnu. De magnifiques et pures yeux émeraudes. L'incube en resta bouche bée. Bien sûr il avait déjà eu des clients vraiment très beaux et raffinés mais sa curiosité le poussait à savoir quelle mystérieuse fleur se cachait sous cette crasse.

Délicatement, il dégagea le front de son client pour découvrir un visage fin et masculin, comme il l'imaginait.

- Il te reste 13 minutes dans ton compteur pour me parler. Je te force pas mais... quel gâchis vraiment.

- Je me fiche de mon apparence.

- C'est pas ce que je sais des fenghuang.

- Et qu'est-ce que tu sais hein ? répliqua-t-il en dégageant la main de l'incube sans douceur.

- Je sais que tu es un symbole impérial et que tu fonctionnes en duo avec les dragons. Tu dois être sacrément vieux non ? T'as quel âge ? 300 ? 400 ans ?

- J'ai 856 ans cette année, confessa l'inconnu.

- Pfff ha ouais quand même ! Alors où est ton partenaire ?

Le phénix se referma aussitôt. Il serrait compulsivement ses avant-bras, comme rongé par une angoisse invisible.

- Il est... Il... je ne...

L'incube remarqua de suite l'hésitation et le sanglot qui perçait la voix à présent mélodieuse.

Le sujet était visiblement sensible et il ne croyait pas si bien dire.

- Il... il a été tué... il y a quelques mois... Pour ses écailles et sa chair vendues au marché noir. C'était ma moitié, l'amour de ma vie. Il était tout pour moi. Et je ne sais pas quoi faire sans lui à mes côtés. Mon rôle, ma vie, tout a perdu son sens. Il me manque à chaque instant, terriblement.

L'incube serra les dents. Il ne s'attendait pas à autant de révélation d'un coup. Il voulait juste remplir l'heure... Il ne comprenait pas très bien les choses de l'amour et de la fidélité mais l'être qui se tenait devant lui le peinait. Son aura, sa voix, son corps et son âme transpiraient la tristesse et une profonde détresse. Détresse qu'il avait tenté d'enrayer, l'espace d'un instant, avec le sexe.

- Tu sais.. confia-t-il en tentant de se rapprocher à nouveau, si y a un bien une chose qui t'aidera pas, c'est le sexe. Cela n'en sera que plus douloureux au contraire. Il faut que tu arrêtes de te mutiler et de te laisser dépérir.

- Je ne peux pas. Je dois me détruire, ma vie n'a plus aucun sens.

- Non tu dois vivre ! Mon avis n'a sans doute aucune importance mais bordel, la vie c'est dur, sans pitié, c'est un test à chaque seconde. Tu dois trouver ta nouvelle place, ne lâche rien !

- Si tu savais à quel point il me manque. Chaque respiration est plus douloureuse que la précédente, lâcha le feng en pleurs.

L'incube le serra dans ses bras et le consola durant plusieurs minutes, à sa façon. Il essayait d'y mettre toute la douceur dont il était capable. Il regarda sa montre et sourit. Son patron ne serait sans doute par ravi de ses honoraires du jour mais lui ne regrettait pas cette rencontre.

Il allait tout faire pour redorer le plumage de son bel inconnu.

- Ferme les yeux et laisse-toi aller. Il est temps de recommencer à respirer.


Try to Breathe (terminée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant