1 - Evan

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J'ai cinq ans et je viens d'arriver en France.

Il y quelques jours, ou quelques semaines peut-être, mes parents m'ont appelé depuis la cuisine. Ils avaient quelque chose de très important à m'annoncer. Je me suis approché et la sentence est tombée : « on s'en va ». Le lendemain, nous avons pris la route pour un long voyage vers la France, là où pépé avait passé ses vacances, le pays qui a donné sa langue au mien.

Je suis Nigérien. Enfin j'étais.

Le trajet du Niger jusqu'à la France a été dur. Long, aussi. Mais ça en valait la peine, je l'ai vu sur les visages de papa et maman. Et ils ne veulent que mon bien, non ?

Maintenant, je suis Français. C'est papa qui me l'a dit.

On a débarqué après un trajet long et mouvementé. Quelques personnes sont mortes dans la mer. La mer Méditerranée. Maman m'a dit que maintenant, elles étaient au ciel. Je ne sais pas trop ce que ça veut dire, « être au ciel ». On ne peut pas flotter dans le vide. Enfin je crois.

Ma nouvelle maison, elle est à Marseille.

On est arrivé et papa m'achète une glace. « C'est pour te féliciter d'être aussi courageux, mon bonhomme », il me dit. C'est dans notre nouveau quartier. Le marchand de glace. J'en choisis une à la fraise. Je croque dedans. C'est bon. C'est froid, aussi.

Quelques jours plus tard, je suis heureux.

Je marche derrière papa et maman vers ma nouvelle école. J'espère me faire de nouveaux copains. Je ne connais pas bien la France. Ni Marseille. Ici, les gens ont un accent bizarre. Maman dit que c'est l'accent du sud, de Marseille, que je finirai par parler comme eux avec le temps.

On verra bien.

Le soir, je rentre à la maison, ma main dans celle de papa. Je lui raconte ma journée, et lui me raconte la sienne. Je me suis fait une amie, Léonor. Elle est très gentille. Elle est restée avec moi toute la journée à l'école. Papa me dit que lui aussi est allé à l'école, mais comme maître. Dans un collège. Il aime bien ses classes.

Et quand j'ouvre la porte de la maison, maman m'annonce qu'elle a une bonne nouvelle. Je vais avoir une petite sœur.


Je me réveille en sueur dans mon lit. Allongé sous mon plafond couvert d'étoiles, datant de l'époque où nous avons emménagé à Marseille, je repense à mon rêve.

J'ai une petite sœur, Juliette. Elle est en primaire et, depuis qu'elle m'a dit qu'un garçon de sa classe avait lui aussi fait le trajet du Niger jusqu'à la France, je revis ce cauchemar en boucle. Même si je ne regrette pas la décision de mes parents, le voyage a vraiment été difficile. C'est un miracle que nous soyions encore en vie.

J'allume la lumière et me lève. 6:03. Nous sommes vendredi, mais c'est un jour férié. Je vais aller préparer le petit déjeuner.

En sortant de ma chambre, je jette un regard circulaire à la pièce. Les murs sont jaunes, comme ceux de ma chambre au Niger. Je n'ai pas voulu changer la couleur depuis. Sur celui de gauche, au dessus du lit et près de la fenêtre, se côtoient une carte du Niger et un poster de Axel Augis, gymnaste français, médaillé de bronze aux championnats d'Europe. C'est devenu mon idole le jour où je l'ai vu pour la première fois à la télé. Depuis, je vais à la gym deux fois par semaine. C'est un sport que j'adore, tant pour les aspects artistiques que techniques. Ne jamais abandonner, persévérer, c'est ce que me répète sans relâche mon entraîneur.

Je sors de la chambre et me dirige vers la cuisine.

Notre maison n'est pas très grande mais elle me suffit. En même temps, elle est toujours pleine d'enfants qui courent partout, entre mes sœurs et les bébés que maman garde. Elle est nounou.

Luna a quatre ans, elle vient d'entrer en petite section. J'aime bien l'emmener à l'école avant d'aller au lycée. Au moins, à cet âge, les enfants sont moins méchants entre eux. Enfin je crois.

Je vois ensuite arriver Juliette, ma petite sœur, celle qui était apparue dans mon rêve. Elle a dû m'entendre me lever. Elle a dix ans maintenant, bientôt onze. Tout ça s'est passé il y a si longtemps...

Ju' vient m'aider à préparer le petit-déjeuner. Des céréales pour les filles, du café pour moi, du thé pour les parents. En parlant du loup, je les entends qui se lèvent.


Quelques heures plus tard, Juliette déclare qu'elle a faim. J'ai passé la matinée à jouer au foot dans le jardin avec mon père et mes sœurs, j'adore quand nous passons ce genre de moments en famille. Nous nous mettons à table pour le repas du midi puis je me propose pour emmener ma sœur, la grande, acheter une glace chez son glacier préféré. Le même que quand j'avais cinq ans.

En chemin pour le marchand de glace, je repense à Juliette.

Qu'est-ce qu'elle est mignonne, avec ses longues boucles brunes et sa peau parfaite couleur chocolat. Elle ressemble beaucoup à ma mère. À part pour les yeux. Elle a les mêmes yeux en amande que papa. Je suis sûre qu'à l'école, tout le monde l'adore. Elle n'a pas eu de mal à se faire des amis. D'ailleurs, sa « BFF », comme elles adorent dire, s'appelle Harmony et c'est notre voisine.

Ju me tire par la manche. Nous sommes arrivés. Je commande nos glaces. Le marchand est un gars du lycée. Il tient la boutique quand son père n'est pas là. Juliette prend une glace au citron vert, et moi à la fraise.

Nous nous apprêtons à repartir quand le regard de Juliette croise celui de Harmony. Je ne m'étais pas aperçu de sa présence. Ni de celle de son frère, Ludovic.

La Nature reprend ses droitsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant