La fillette de la jetée

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J'ai toujours aimé les jours de grand vent.

Me sentir si légère que j'ai l'impression de pouvoir m'envoler, retrouver les oiseaux à chaque bourrasque...

Sentir l'odeur salée de l'océan venir jusqu'à moi, accompagnée de secrets venus du fin fond des mers, ou de terres inconnues...

Sentir mes cheveux fouetter mon visage, pour me rappeler ô combien je suis vivante...

Pourtant, cette fois là, ce n'est rien de tout cela qui m'avait attirée sur la jetée, au cœur même de ce souffle éphémère que j'aime tant.

Non.

Cette fois, c'était une voix, mélancolique mais pleine d'espoir à la fois, douce et profonde, belle tout simplement. Une harmonie parfaite entre l'air soufflé par le vent et ce chant sublime qui traversait le temps.

Presque hypnotisée par cette mélodie inconnue qui formait cette chanson, j'avançais dans le vent sans penser à quoi que ce soit d'autre.

Une enfant était debout, seule, à la pointe de la jetée. Elle semblait jouer avec le vent, et se mouvait comme si elle dansait avec lui, à moins que ce ne fut le contraire. Mais, surtout, elle chantait, d'une voix si pure que l'on pourrait sans peine la confondre avec celle d'un ange.

J'étais époustouflée.

« Comme c'est beau ! » laissais-je échapper, émerveillée.

À mon plus grand désarroi, la petite se tut immédiatement. Une vague de regrets me submergea dans le silence de plus en plus pesant laissé par l'absence de cette voix merveilleuse. Je n'avais pas le droit de l'interrompre...

« Toi aussi, tu aimes chanter pour le vent ? »

La petite s'était approchée de moi, et me regardait de ses yeux d'enfant en me souriant. Sa question me laissa sans voix.

Chanter pour le vent...

Il me paraissait tellement évident que le souffle du vent était beau à écouter, mais je n'avais jamais songé un seul instant de chanter pour lui, malgré les heures passées, assise au bout de la jetée, à prêter oreille à la brise.

Une petite main accrochant mon manteau me tira à nouveau de mes pensées :

"-Tu n'aimes pas chanter? demanda-t-elle tristement, en réponse de mon silence

-Si, j'adore chanter, rassure-toi! assurais-je. J'aime beaucoup écouter le vent souffler sur le monde, mais je n'avais jamais chanté pour lui. Ta chanson était magnifique...

-Merci beaucoup ! C'est ma mamie qui m'a appris à écouter le vent, et lui parler, me répond-t-elle, l'air rêveuse. J'aime vraiment beaucoup !

-Dis moi, pourquoi est-ce que tu aimes chanter à Zephyr ?"

Cette question me résonnait dans la tête depuis la première seconde. Le vent n'est pas le plus loquace des spectateurs, peut-être était-ce pour elle-même? La pureté de la voix de cette petite n'admetait pas le fait que personne n'aimait l'entendre chanter, alors, pourquoi?

"-Zephyr ? C'est qui ?

-C'est le nom que l'on donne au vent !

-Tu sais, c'est surtout pour ma mamie que je chante à Zephyr..."

"Alizée!"

Une voix de femme interrompit son explication, et la petite se retourna vers celle qui criait. 

Alizée était donc son nom...

« Alizée ! Reviens ici, il faut qu'on rentre maintenant... »

La fillette me fit un petit signe de la main avant de se retourner et rejoindre le petit groupe d'adultes habillés de noir de l'autre côté de la jetée.

Je regardais partir cette adorable petite qui il y a quelques secondes chantait encore d'une voix merveilleuse, songeant debout et seule au milieu des courants aériens en écoutant le souffle du vent désormais dépourvu de cette mélodie qui le sublimait mais accompagné du son de cloche de l'église, résonnant lourdement jusqu'au-delà du village.

Celle qui chantait au ventOù les histoires vivent. Découvrez maintenant