Je me souviens très exactement. De tout. De ses yeux, de son regard, de ses pupilles qui transpercent chaque parcelle de mon corps, de mon âme, de mon cœur. De la manière dont la transpiration perlait sur sa joue à chaque fois que nous courrions. De ses larmes qui prenaient toujours le même chemin quand nous étions ensemble.
Il a tellement pleuré. Pleuré quand nous étions ensemble. Pleuré quand nous ne l'étions pas. Il a pleuré quand j'étais là. Il a pleuré quand je suis parti. Je sais que chaque soir, au fond de lui, quelque part, une parcelle de son âme s'affaissait parce que je n'étais pas là. Je lui volais plus le temps passait.
Quatre ans. Je suis parti il y a quatre ans. Et je suis maintenant comme un con devant ce portail blanc donc je vois chacune des planches se faire et se défaire. Ce n'est pas une poignée que je saisis, mais tout mon passé qui semble se déverser soudainement en moi. Il n'y a personne pour m'accueillir.
Personne ne m'attend. Tout le monde m'en veut, tout le monde n'espère qu'une chose : que je reste là où je suis parti. Après tout, si je m'en suis allé, c'est parce que je le voulais. Mais non. Je n'avais plus le choix, plus la possibilité, plus la sérénité. Je devais partir ou disparaître. J'ai finalement fait les deux.
La maison n'a pas changé. Evidemment qu'elle n'a pas changé. Pourquoi aurait-elle changé. Il n'y a que moi qui me suis transformé. Sans doute lui qui m'a oublié. La poignée enfin baissée, le portail accepte de me laisser passer. Il n'y a que trois mètres qui me séparent de la porte d'entrée. Trois mètres que je suis incapable de parcourir.
Chaque centimètre gravi me rappelle un souvenir. Quand nous étions gamins, quand nous parcourions tout notre quartier en courant, en marchant, en mangeant, en rigolant. Puis quand nous avons grandi, que nous avons découvert ce que voulait dire être grand. Être grand c'est devoir affronter les mêmes problèmes qu'enfant, mais avec plus de lourdeur et de responsabilité.
Et nous, nous avons affronté le plus douloureux des problèmes : aimer. Aimer en même temps. Non pas ensemble, non pas la même personne. L'un et l'autre. Nous avons traité le problème le plus important d'une vie en un mot. A dix-sept ans. Il a dit oui quand je lui ai proposé de l'embrasser.
Je me souviens de ce baiser parce qu'il était juste là, ici. Sur ces marches. Ses parents n'étaient pas là. Ou peut-être l'étaient-ils mais ils n'ont jamais rien dit. Ni même quand, quelques secondes après, nous nous tenions la main assis. Je me souviens de ses ongles qui essaient d'arracher tant bien que mal quelques parcelles de ma peau pour se les approprier.
Je ne lui ai jamais dit je t'aime. Parce que je ne savais tout simplement pas le faire. Pas le dire. Pas le sentir. Pourtant, je le ressentais. Et c'est ça la douleur. La douleur au fond de la poitrine, mais aussi de l'estomac, de l'épaule, du pied. Parce que tout brûle quand on aime sans le dire. Tout est prêt à exploser quand les mots ne sont pas dits mais résonnent.
Tout mon corps lui disait, mais jamais ma bouche. Lui il était là, à m'observer avec ses yeux bleus, son sourire léger, ses lèvres fines. Je m'en veux.
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Les petites folies de Kerray (B&B)
RomanceComme promis, voici le recueil qui accueillera les différents OS que je serai amené à écrire de temps à autres, sur les personnages des précédentes histoires ou bien sur de nouveaux. Toute suggestion est la bienvenue !