Les premières semaines de notre retour en métropole, Kévin et Bénédicte ont proposé de nous héberger. Kévin peut ainsi veiller sur ma grossesse alors que Cédric se consacre à la création de son entreprise. Il est de jour comme parfois de nuit, au téléphone avec Mattéo. Le reste du temps ? Ben, il le passe en rendez-vous avec lui. Leurs liens se sont resserrés depuis que Mattéo lui a proposé de s'associer au sein de leur SARL dans le bâtiment. Je suis seule la plus part du temps dans ce grand pavillon où je traîne mes quinze kilos supplémentaires.
On est en Septembre. La fraîcheur du petit jour draine sa nostalgie teintée d'appréhension des matins de rentrée. Je suis officiellement en congé maternité et à un mois du terme. Ce changement de statut a mis un terme à ma culpabilité d'être sans emploi depuis que j'ai démissionné de l'agence de voyage en outre-mer. De toute façon même si je voulais travailler, je n'y arriverais pas. Debout, avec mon ventre, je ne vois plus mes pieds. Je ne perds pas grand-chose. Ce sont deux petits poteaux gonflés que je découvre en m'allongeant sur le canapé, là où je passe la majeure partie de mes journées quand tous les autres continuent de mener une vie sociale.
Béné a suggéré pour ce week-end un pique-nique au bord du lac qui a été accueilli avec enthousiasme. Pour aider Cédric à décrocher de son addiction téléphonique, pendant ces deux jours, je lui confisque son portable. Il feint de protester mais il se rend compte que cela lui permet de s'accorder un moment de détente. Je n'ai pas encore d'enfant que je joue déjà mon rôle de maman.
Le loueur de pédalos a fermé boutique le dernier week-end d'Août, le coin a retrouvé son aspect calme de nature enfin rendue aux grenouilles et autre faune qui en sont les souverains neuf mois de l'année. On a choisi d'étaler la nappe à carreaux de Bénédicte dans la partie la plus sauvage du parc. Pour cela nous devons emprunter un chemin forestier connu des seuls chasseurs, randonneurs et amateurs de champignons. Fiona est installée dans son siège auto entre Cédric et moi. Elle tend le bras pour désigner des hommes en gilets orange, postés en lisière des champs.
- Ne montre pas les gens du doigt, la reprend Kévin à travers le rétroviseur.
- Ils font quoi ?
- Ils traquent le gibier, lui explique Cédric. Tu vois leurs chiens ? Les gars, là-bas, ils sont postés, les autres se sont les rabatteurs...
Pour une fois qu'il ne parle pas d'assurance décennale et de plan d'investissement. Pas de doute, on est en week-end ! Le problème de la grossesse, c'est que cela donne constamment envie d'uriner. Le trajet qui cahote sur le chemin de terre n'arrange rien.
- Tu peux t'arrêter, Kévin ?
- Encore ? Il a pourtant connu pareille situation il y a six ans mais semble avoir oublié.
- Je t'accompagne, me propose Béné plus compatissante.
Bien sûr, on s'éloigne un peu du chemin et nous nous enfonçons dans un bosquet. J'avance prudemment. Il y a des ronces partout, et je ne vois pas où je mets les pieds. Béné me guide. C'était son idée la pleine nature. Je continue seule. Au début je ne prête pas attention au bruit qui s'amplifie, celui de brindilles qu'on écrase. Le bruit semble se rapprocher en même temps que j'en prends trop tardivement conscience. Je me tourne dans la direction, c'est alors que je vois sa silhouette massive et pressée rasant le tronc des arbres, fonçant droit sur moi. Mon réflexe premier est de courir. Au supplice de mon ventre qui ballotte, je suis rapidement à bout de souffle. Je jette un regard paniqué par-dessus mon épaule, il gagne du terrain. Je n'ose pas crier. Ne trouvant pas d'autre alternative, je me colle contre un large tronc espérant naïvement me dissimuler. Je ne bouge plus à l'exception de mon cœur qui menace de faire exploser ma cage thoracique. Je retiens mon souffle.
Le martellement de la course du sanglier sur le tapis de feuilles mortes, les brindilles qui craquent sous son pas rapide et déterminé, sa respiration bruyante et saccadée qui se rapproche dangereusement. Je me suis encore éloignée de là où m'attendait Béné et comme une imbécile, j'ai laissé mon téléphone dans la voiture. Je suis seule à la merci du suidé. Je pense à mon bébé que par imprudence ou malchance, je mets en danger. J'imagine déjà, les médecins hésitant entre sauver l'enfant viable et la mère bien abîmée par la collision.
Je n'ose plus regarder dans sa direction, je ne bouge plus, ne respire plus, je ne suis plus que cet arbre vivant mais immobile contre lequel je tente de disparaitre. J'entends passer le sanglier si près qu'il me frôle, j'ouvre enfin les yeux. Stupéfaction, il semble encore plus paniqué que moi et poursuit sa fuite sans prêter attention. Je souffle et m'écroule de soulagement, les jambes flageolantes.
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L'audacieuse Sofia Capriaglini Tome 3 : délit de fuite
Chick-LitJ'ai pris la fuite au bout du monde, loin de Kévin dans l'espoir de mener une vie sereine auprès de Cédric mais c'est sans compter sur l'obstination de mon ex-demi-frère et de Richard pour me ramener près d'eux. Un périple tropical nous attend. Le p...