Chapitre 13

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La calèche s'était arrêtée sous le porche d'un grand bâtiment. Deux valets qui gardaient la porte s'inclinèrent à notre passage tandis qu'un troisième s'occupait de nos bagages. Nous entrâmes dans le premier vestibule. Un homme nous débarrassa de nos manteaux en nous souhaitant la bienvenue. Je n'osai répondre. Je n'avais jamais été invitée à un tel évènement, ce n'était pas mon milieu. Ce que j'identifiai comme être le majordome de la maison arriva alors. C'était un homme de la soixantaine, grand et mince, les joues creuses et les cheveux blancs.

-Bonjour, bienvenue au bal bisannuel des Proklyatyy. Quel est votre nom ?

-Je suis le comte Volkov, et voici ma femme, la comtesse Volkova. Répondit Nikita en me désignant.

Le majordome vérifia sa liste d'invités, raya notre nom et nous désigna la porte d'entrée avec un grand sourire.

Mon maître prit mon bras sur le sien, et me guida vers la porte. Dès qu'il l'ouvrit, un air de violon parvint à mes oreilles. Un large escalier recouvert d'un tapis rouge s'offrait à nous, mais nous bifurquâmes vers la gauche. Le comte m'ouvrit une porte en me précisant que je devais mettre ma robe. Je rentrai dans le petit vestiaire et me changeai rapidement. Une fois venue à bout de mes laçages, je pus sortir retrouver mon maître. Il m'attendait patiemment devant la porte. Il sourit en me voyant sortir. Le temps était venu d'aller retrouver les autres invités. Nikita me regarda comme pour m'encourager, ou me rassurer. J'avais une immense frousse. Et si les autres invités découvraient que je n'étais pas Tatiana Volkova ? Et s'ils me voulaient du mal ? Si je faisais un faux-pas ? J'inspirai, et nous gravîmes les escaliers. Nous débouchâmes dans une salle immense à la décoration baroque et noire de monde.

-Ne me quittez pas... Me glissa Nikita à l'oreille.

Pour ça, il n'y avait aucun risque. Je me cramponnais à lui comme si ma vie en dépendait. Nous nous glissâmes dans la foule. Il était difficile de se frayer un chemin parmi tous ces convives. Les dames avaient de larges robes à volants qui ne facilitaient en rien notre passage. Certains se retournaient à notre passage et me dévisageaient. D'autres humaient l'air avant de nous regarder en plissant les yeux. Je me sentais très mal à l'aise. Heureusement, le comte m'avait fait traverser toute cette foule pour m'emmener dans la pièce suivante. Il y avait beaucoup moins de monde, et une grande table rectangulaire y avait été dressée. Presque toutes les chaises étaient occupées par des personnes masquées. Le festin semblait avoir déjà commencé.

-Veuillez excuser mon retard et celui de ma femme, mon cher ami ! Déclara alors mon maître.

Un homme châtain clair avec un bouc se leva. Il portait un long manteau noir.

-Nikita mon ami ! s'écria-t-il en levant les bras au ciel.

Je me demandai alors quel pouvait bien être l'utilité du masque si tout le monde criait le nom de n'importe qui. Il s'approcha de nous et prit mon maître dans ses bras. A la fin de cette étreinte, les deux hommes collèrent leurs fronts l'un contre l'autre et se regardèrent dans les yeux en silence. Enfin notre hôte se décolla de mon maître et s'agenouilla devant moi pour me faire un baisemain.

-Ma chère Tatiana, cela faisait si longtemps ! Je suis heureux que votre mari soit parvenu à vous convaincre. Un peu plus et vous auriez perdu ma protection.

Ne sachant que répondre, je me contentai de sourire.

Cela fut suffisant car l'homme nous invita à prendre place.

-C'est le duc Proklyatyy. Me souffla le comte en tirant ma chaise. Je hochai la tête pour lui montrer que j'avais entendu.

Il s'assit à côté de moi et serra ma main dans la sienne. Parmi tous ces invités sa présence me rassurait. Mon voisin de gauche était un vieil homme aux cheveux grisonnants, et au ventre bedonnant. Il portait un masque doré décoré sur ses bords supérieurs de feuilles de laurier en or. Il parlait avec son autre voisine. Tout le monde parlait, et je tremblais. Le duc Proklyatyy se leva et donna quelques coups de fourchette dans son verre. Tout le monde se tut.

-Je déclare ouvert le trois-cent cinquante quatrième bal des Proklyatyy ! Merci mes amis pour votre fidélité, c'est toujours un grand plaisir de vous avoir pour ces deux jours. Que le festin commence ! s'écria-t-il de façon très théâtrale.

Il se rassit, et au même moment, une file de serviteur entra, portant de nombreux plats et plusieurs amphores.

-Ne mangez rien sans ma permission. Me chuchota Nikita.

-Pourquoi ? Vous craignez qu'il y ait du poison ?

-Pas tout à fait. Disons qu'il y aura certaines choses que vous ne devriez pas manger.

Cette interdiction ne fit que m'alarmer encore plus. Pourquoi ne devais-je pas manger ? Quelle était cette chose que je ne pouvais pas absorber ? Un poison auquel tous les autres invités étaient habitués ? Une substance hallucinogène ? Un plat de gibier fut déposé devant moi, et un serviteur vint nous servir du vin rouge.

-Vous pourrez manger du sanglier qui est devant vous. Mais faites semblant de boire. Ne touchez même pas ce liquide avec vos lèvres.

A peine m'eut-il prévenu que les invités se levèrent pour porter un toast. A ma grande surprise, ils commencèrent par boire une gorgée du vin, et jetèrent le reste de leur verre au-dessus de leurs épaules avant de s'écrier en cœur :

-Au duc Proklyatty, et à Vladislav III, voïvode de Valachie, fils des dragons, et à sa descendance !

Je les avais imités, penchant légèrement ma coupe, mais sans boire. Puis j'avais jeté la boisson derrière moi.

Nous nous rassîmes tous. En une seconde, tous les convives s'étaient jeté sur la nourriture qu'ils déchiraient avec les dents à même les plats. Certains ne se gênaient même pas pour monter sur la table. Ils s'étaient transformés en animaux, prêts à tout pour avoir leur repas. Mon maître aussi s'était levé, et un genou presque sur la table, il se penchait pour tirer à lui un lapin. J'étais terrorisée. Seule parmi une meute d'animaux sauvages. Je n'osais pas bouger, à peine respirer. Je commençai à comprendre pourquoi ma maîtresse avait si peur. Même Nikita était métamorphosé. J'ignorais ce qu'ils avaient bu, mais cela avait un effet certain.

-Monsieur le... voulu-je l'appeler. Mais je me retins. J'étais censée remplacer sa femme.

Je pris une grande inspiration :

-Ni... Nikita... dis-je en le tirant un peu par la manche.

Il se tourna alors vers moi, les yeux grands ouverts, humectés de sang et la pupille dilatée. 

La morsure des VolkovOù les histoires vivent. Découvrez maintenant