La neige

26 8 3
                                    

M Y L A

-Attends moi, nom d'un strapontin ! souffle Gwen, qui a du mal à rester à ma hauteur.

Nous courons sans cesse autour du vieux stade du lycée. Sans jamais nous arrêter. Je ne sais plus à combien de tour j'en suis exactement, avec Gwen à mes côtés.

Le terrain est d'une tristesse glaçante et chaque coin se ressemble. Si bien que l'on a cette impression tenace de ne jamais avancer.

Aussi ancien que le monde, cet endroit ne semble pas avoir été rénové depuis plus de dix ans. Une éternité d'abandon. Le fléau de l'oublie. Cela me fait penser au pont sur lequel j'étais hier...

Les peintures blanches sont écaillées dans l'herbe mal découpée du terrain de rugby. Les gradins s'écroulent sur eux même dans une allure peu attrayante...

Nos pieds glissent plus ou moins à l'unisson et roulent contre les grains sablés. Nous n'y prêtons pas véritablement d'attention, concentrés que nous sommes tous par notre propre course. Mes petites jambes s'allongent avec facilité, défiant le vent, l'adrénaline et la fatigue qu'apporte l'effort. Je vole contre le sol. Je suis un oiseau et je prends mon élan, prête à toucher l'univers et à le faire exploser dans le bonheur.

Mes baskets m'emportent au fond de mon esprit. Je suis alors dans une sérénité totale, où il ne me manque que de la musique pour que le comble absolu s'invite.

Au dessus de nos têtes, les nuages se sont emparés du ciel. Ils sont d'un gris sombre que la lumière peine à perforer dans l'asphalte de ce jour.

Les bras croisés, je vois du coin de l'œil notre professeur de sport nous regarder lutter dans nos propres courses. Son regard est dur et statique, même de loin. Je crois qu'en fin de compte, il ne fixe personne si ce ne sont ses propres pensées qu'il réfléchit ardemment...

À mes côtés, Gwen est cramoisie. Des gouttes de sueurs glissent sur son doux petit front et semble comme former une seconde couche de peau. Son visage semble être une flamme vivace qui ne cesse de brûler un peu plus intensément. Son souffle est rauque et irrégulier, comme le bruit d'une tornade qui déchire l'horizon. Devant elle, la brûlure de ses respirations crééent une fine buée. Ses bras ballants frappent l'air au hasard, tout autour de son corps.

Je ralentis pour elle et me surprends en l'entendant me souffler entre deux expirations suffoquantes :

-Co... Comment fais-tu pour aller aussi vite ?! Par... Parfois... Je... Je me demande si tu es faite comme tout le monde !

Moi même je ne le sais pas. Peut-être que la force de l'habitude m'a rendue plus endurante à la course dans le temps ?

Alors que je fixe le terrain et les gens de notre classe qui font claquer leurs pas dans la poussière et le sable, Gwen demande :

-Alors ? Tu lui a répondu ?

Je tourne ma tête vers elle. Je fixe ses cheveux bouclés, coincés dans une vague queue de cheval, à moitiée défaite par la course. Quelches mèches sont collés tout contre ses tempes. Ses lunettes glissent sans cesse de son nez.

-Tu... Sais, s'essouffle-t-elle. À... Ton Ad... Adam. Sa lettre ?

Je sais bien de qui elle parle. Le souvenir de la nuit que nous avons passé à parler me revient. Je me souviens que, cette nuit là, je me suis sentie comprise comme jamais je crois ne l'avoir été. Mon esprit semble s'être illuminé comme un néon dans la nuit noire.

Je fais un vague non de la tête avant de pointer de mon index, mon œil droit.

Gwen ouvre la bouche. J'ai l'impression qu'elle est encore plus rouge que quelques minutes auparavant.

-Tu... Tu veux me dire que... Tu ne lui a pas répondu... Mais que tu l'as revu !!

J'approuve d'un signe de tête. Un mince sourire vient s'étirer tout contre ma bouche.

-En chair et en os ? insiste mon amie.

Nouvelle affirmation de ma part.

-OH PURÉE, OH PURÉE, OH PURÉE ! Myla ! J'en ai un point de côté !

Je la vois sautiller en tenant son ventre prit de douleur. Un énorme sourire encadre sa petite tête lunée et menace de l'avaler toute entière ! Cela, en continuant tout de même de courir tant bien que mal. Nous ralentissons à nouveau l'allure. Je me demande comment elle s'y prend pour parler en courant... Enfin, en sautant sur place comme un petit kangourou.

-Si... Si on était pas en train de courir... comme des folles furieuses autour d'un stade tout pourri... Je t'aurai harcelée de parole... Mais là... Là... J'ai un point de côté !! Purée on peut s'arrêter ? Le prof regarde pas de toute façon...

Soudain, alors que Gwendoline et moi-même arrêtons notre course, un petit flocon vient chatouiller mon nez. Il est d'abord si fin qu'au premier abord, je le pense être une petite goutte d'eau de pluie.

Mais bientôt, c'est tout un ensemble d'étoiles glacées qui s'écroulent autour de nous en colorant le monde d'un halot pâle.

C'est comme de petits morceaux de nuages qui s'arrachent et se décollent pour choir au plus près de la vie grouillante...

On entend le vent chercher un moyen de les dévier. Peut-être cherche-t-il même à les ramener tout près des nuages si sombres dont le ciel, en ce jour, s'est habillé ?

Il n'empêche que c'est beau. C'est simple. C'est blanc. Et plus vite tombent les grains glacés, plus vite le vent souffle et agite nos cheveux en sueur.

Tout meurt pour mieux renaître sous cet hiver. Et les flocons tombent encore et encore. Et encore. Sans relâche. Tout devient blanc. Tout disparaît dans l'espoir d'un meilleur printemps.

J'entends les rires existés des gens heureux qu'un peu de neige tombe dans cet hiver qui, jusqu'à aujourd'hui, s'était comme tenu en retrait.

Je ferme les yeux et je savoure comme je peux cet hiver passé sans toi. Et toutes ces autres saisons qui filent et défileront devant toi, sans toi.

L'être de l'AubeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant