Tibalte...
Les hommes étaient tous affectés par la mort de Pothélée. Cette femme si discrète avait laissé son empreinte partout dans le ludus. Sa bonté et sa bienveillance étaient inscrites dans les murs. La maîtresse des lieux, si froide, si distante habituellement, semblait, elle aussi, émue devant le brasier ardent qui réduisait en cendres les souvenirs d'une femme exceptionnelle. Calliandra retenait ses larmes mais l'expression de son visage ne laissait aucun doute sur la douleur qui tempêtait dans sa poitrine. Ses jambes soutenaient à peine son poids, ses mains tremblaient. J'avais envie de la prendre dans mes bras et de lui faire oublier ce drame. Mais je savais que rien ne pourrait venir à bout du chagrin qu'elle ressentait. Sa mère était morte, partie pour l'autre royaume, un voyage sans retour. Martial paraissait dévasté mais tentait de le dissimuler. Je n'étais pas dupe, je savais la relation qui unissait ces deux êtres malgré les interdits, malgré la condition d'esclave de Pothélée, malgré la présence de Tullia. Un regard sur ma droite et je vis Calliandra tomber à genoux. Sa silhouette se découpait dans l'obscurité grâce à l'éclat de la lune qui n'enveloppait qu'elle. Ses poings fermés vinrent se planter dans le sable, elle baissa la tête et courba le dos. Tant de souffrance. Tant d'accablement. Mon cœur se brisa mille fois devant cet affreux spectacle. Je fis un pas vers elle mais quelque chose me retint, un pressentiment. Elle n'avait pas besoin de moi en cet instant. Elle avait seulement besoin de solitude. Besoin de pleurer et de crier intérieurement toute la rage qui l'animait, tout le mal qui la rongeait. Après la cérémonie, Calliandra disparut dans sa cellule sans un mot et je compris que les jours à venir lui seraient insupportables. Elle venait de perdre la lumière qui guidait sa route et l'étincelle qui faisait briller ses yeux. Ne restait plus que le néant où même l'éclat d'un rubis serait bien insuffisant pour permettre aux flammes de jaillir à nouveau.
Depuis quelques jours, le sénateur Rufus rôdait autour du ludus comme un vautour autour d'une charogne. Je n'aimais pas cet homme. Il amenait la mort dans son sillage, le mensonge et la trahison. Un serpent parmi nous. Il assistait aux entraînements de Calliandra, rendait visite au maître et affichait toujours un sourire sournois et malfaisant. Il semblait hypnotisé par la gladiatrice, fasciné par ses mouvements, sa technique, sa grâce et sa chevelure flamboyante qui ondulait sans cesse. Son regard se noyait dans cette contemplation malsaine et dérivait parfois vers moi avec une colère farouche. Il me considérait comme une menace, je le sentais. J'avais eu le malheur d'intervenir pour protéger Calliandra et le sénateur avait compris le lien qui m'unissait à elle. Grossière erreur que de laisser voir à son ennemi notre plus grande faiblesse.
Puis l'heure que je redoutais tant finit par arriver. Pothélée venait seulement de nous quitter, son esprit hantait encore les galeries. Pourtant, Calliandra avait accepté un combat en l'honneur du nouvel empereur. Le lendemain de la cérémonie funéraire, elle s'était levée plus froide que jamais, plus déterminée aussi. Elle n'avait pas hésité à se rendre dans la demeure et à interrompre la conversation houleuse qui divisait Martial et le sénateur. Elle avait vendu son âme pour une raison obscure mais que je devinais aisément. Calliandra n'agissait jamais sans une réelle motivation. Après ce jour, elle s'éloigna du groupe progressivement et se perdit dans les entraînements. Plus rien n'existait autour d'elle et elle ne communiquait plus qu'avec Spiculus pour connaître les ordres et recevoir les conseils. Martial l'observait souvent en silence sur son balcon mais il ne faisait rien pour la ramener à la raison. Il la laissait se murer dans son mutisme, résigné. Il avait baissé les bras. Calliandra refusait ma présence, mon contact, mes mots. Même son ami, Onéaclus, ne parvenait plus à l'approcher. Je maudissais cet homme auparavant et j'aurais pourtant tout donné désormais pour qu'il puisse lui faire entendre raison. C'était une cause perdue. Le feu ne brûlait plus.
Je gardais ma douleur et ma colère enfouies dans ma poitrine, maudissant les Dieux qui tenaient les ficelles de notre destin tandis que Calliandra prenait soin de me garder à distance malgré le combat qui approchait. Les regards que je lui lançais rencontraient un mur de pierres absolument infranchissable et mon chagrin grandissait chaque jour un peu plus. Onéaclus tenta de lui parler mais il subit la même défaite et dut se résoudre à s'éloigner sans obtenir ce qu'il était venu chercher. Un soir, contre toute attente, il vint à ma rencontre, le visage grave, l'air contrarié et s'assit à mes côtés sur la margelle en bois qui entourait la cour.
- Tu ne m'apprécies pas et je ne viens pas pour changer cela. Je viens pour elle, dit-il en désignant Calliandra qui s'entraînait alors au palus comme une acharnée depuis plusieurs heures. Elle compte beaucoup pour moi. C'est une amie que j'estime et pour laquelle je pourrais donner ma vie sans la moindre hésitation. Elle a besoin de retrouver ses esprits. Il faut la faire revenir parmi nous ou elle n'aura plus aucune bonne raison de se battre une fois dans l'arène. J'ai l'impression qu'elle veut seulement se faire du mal, s'imposer cette violence pour payer le prix de son existence.
- Calliandra m'a tout expliqué. Je te dois des excuses même si ma langue peine à les formuler.
- La fierté légendaire des celtes, rétorqua Onéaclus en souriant. J'ai connu une femme de ton peuple, ma joue porte encore l'empreinte de ses doigts !
Je ne pus m'empêcher de sourire à mon tour, ce qui me fit beaucoup de bien. Les mots du brigand gonflaient mon cœur. La jalousie avait disparu depuis longtemps même si je n'avais pas encore eu l'occasion d'adopter un meilleur comportement face à lui. Je savais bien qu'il aimait Calliandra. Comment lui en vouloir ?
- En effet, la fierté, répondis-je. Pourquoi venir me dire tout cela ?
- Elle n'écoutera que toi. Tu es le seul à pouvoir lui rendre son humanité. Son cœur t'appartient. Tu dois lui parler. Avant le combat.
- Elle refuse de m'écouter.
- Ne lui laisse pas le choix. Tu dois saisir son regard. Si elle peut lire dans tes yeux ce que tu ressens, elle ne te tournera pas le dos.
Onéaclus avait eu raison et Calliandra ne m'avait pas repoussé. Des femmes, j'en avais connu beaucoup. En homme libre, en tant que gladiateur, pour des récompenses, pour des festins, pour répondre aux désirs des amies capricieuses de la maîtresse. Mais aucune ne pouvait égaler Calliandra. Je l'avais vu changer, évoluer, parfois combattive, parfois abattue. Sous mes yeux, le moineau était devenu phénix et mon admiration n'avait jamais faibli. Je l'ai aimée dès le premier instant. Il fallait qu'elle le sache avant d'entrer dans l'arène, il fallait qu'elle comprenne que j'attendais son retour.
Après cette discussion, les événements s'étaient enchaînés à une allure vertigineuse. Le jour du combat, Martial demanda à ses hommes de rester dans leurs cellules sans donner la moindre explication. Deux soldats vinrent me trouver en me sommant de les suivre. Mes poignets furent liés par de lourdes chaînes et je dus avancer sans opposer de résistance. Martial ne répondit pas à mon regard interrogateur mais il baissa la tête à mon passage en bredouillant ce qui devait être des excuses. En passant devant le sénateur qui affichait un sourire carnassier et triomphal, je compris où les gardes me conduisaient. L'arène. Mon adversaire : celle que j'aimais. Rufus avait gagné. C'était le jour où nos destins basculaient dans les ténèbres sous la volonté d'un seul homme.
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Calliandra, la gladiatrice: le messager de Vulcain Tome 2
FantasyTraqués par les puissants de Rome, Tibalte et Calliandra sont condamnés à s'affronter dans l'arène. Entre la jalousie d'un sénateur dangereux et l'admiration du nouvel empereur, la gladiatrice est prise au piège. Objet de désir et de convoitise, les...