15 - Le Stygmatus

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Pour mon dernier week-end avant la reprise du travail Béné m'a proposé une soirée entre filles. Elle pense qu'après plus de deux mois, il est temps que je me prépare à passer quelques heures, séparée de Louis. J'ai déjà commencé à le sevrer. Avant de partir, j'explique à Cédric comment reconstituer les biberons et la façon de l'installer dans son petit lit. Il me dit qu'il saura gérer et qu'au pire il appellera Kévin, unique jeune papa de nos relations, pour avoir des conseils. Mouais...Ce dernier risque encore de gaffer et d'appeler Louis « mon bébé ». Si on pouvait éviter. Toute cette remise en question de mes habitudes me stresse au moment de déposer une petite bise sur son minuscule visage.

Je me suis épilée les jambes après trois mois de jachère et même maquillée. Un peu trop. Avec un groupe de filles seules dans un bar, cela peut semer le doute sur nos intentions. Trop tard pour retirer tout cet eye-liner, Béné doit déjà m'attendre sur place. Comme je franchis la porte du Stygmatus, Béné me fait signe de la rejoindre à la table qu'elle occupe avec Marine. C'est plutôt une bonne surprise. Je sais par expérience que cette dernière, même saoule, maîtrise ses paroles. Béné est particulièrement joyeuse, et moi, à l'instar d'un détenu fraichement libéré, je me précipite vers tout ce qui m'était interdit jusqu'ici. Je fais signe au serveur de ramener une bouteille pour notre table. Marine aime la Vodka, ce sera de la Vodka. On parle fort, même Marine semble cautionner notre désinhibition. Je sors fumer sur le trottoir. Après un an d'abstinence, j'ai la tête qui tourne et le pouls qui s'affole. Je rejoins mes comparses non fumeuses à l'intérieur. Un mec se détache du groupe de la table voisine et s'approche pour faire connaissance. Les compliments sont salaces. Il insiste. Béné se lève et contre toute attente, tire sur le col de sa chemise et y déverse le contenu de seau à glace. Il proteste vivement, Marine et moi sommes mortes de rire. Je contracte au mieux mon périnée pour éviter un accident. Il continue de nous invectiver tout en sortant la chemise de son pantalon pour libérer les glaçons encore prisonniers. Il est d'autant plus contrarié que même ses copains, prennent le parti de rire de lui. A court d'argument, « allumeuses » est son dernier mot.

Il ne croit pas si bien dire, je monte sur notre table et entreprends une danse au rythme de la musique. C'est Muse, sensuel à souhait. Je suis devenue l'attraction du bar et des sifflements m'encouragent à continuer. Mes comparses ne semblent pas surprises de mon audace. Béné me rejoint. Une prouesse périlleuse avec des escarpins à plateforme. Elle doit être équilibriste. Les conversations dans le bar se font à voix plus basse, les serveurs s'arrêtent et profitent du spectacle, les bras croisés adossés contre le comptoir. A la fin du morceau nous redescendons sous les applaudissements des clients.

- Je propose qu'on trinque à ce que l'on a fait de plus insensé dans notre vie, suggère Marine.

- Vas-y, toi, l'invite Béné pour se laisser le temps de réfléchir.

- Lors d'un gala, j'ai incorporé une troupe de danseuses classiques à la dernière minute sur scène. J'étais en coulisse pour les aider à enfiler les costumes. Une des danseuses, s'est foulé la cheville entre deux tableaux. J'ai été voir le chorégraphe qui n'ayant pas trop le choix a accepté mon aide.

- Tu fais de la danse classique depuis la maternelle, répond Béné.

- Oui mais pas à ce niveau quand même.

- Et t'as assuré ? je demande en enfournant une poignée de crackers.

- Le chorégraphe m'a remercié, j'imagine que oui.

Béné intervient pour nous proposer une idée :

- Un strip-tease dans la salle des fêtes du camping, ça compte ou pas ?

- Bien sûr ça compte ! Raconte-nous.

- D'accord, se délecte-telle mais avant j'aimerais que So nous dise le truc le plus trippant qu'elle ait fait. Je n'ai pas envie qu'elle me prenne la vedette, rajoute-telle en m'administrant un coup de coude malicieux.

J'ai viens une idée qui répondrait à ce défit, mais pas sûr qu'elle apprécie...il me faut trouver rapidement une alternative. On trinque à chaque occasion.

- Je vais aller y réfléchir aux toilettes.

Les deux cousines se concertent du regard :

- On t'accompagne.

On patiente toutes les trois dans le sous-sol étroit. Soudain, surgit le type qu'on a éconduit avec les glaçons. Il empoigne Bénédicte par les cheveux :

- Tu vas t'excuser, de m'avoir humilié, petite garce !

Ce n'est pas vrai, ce type est un psychopathe !

- Lâchez-là, intervient Marine. C'était une blague, vous ne comprenez pas ?

Il n'a visiblement pas le sens de l'humour, il tire de plus belle et lui ordonne de se mettre à genoux pour s'excuser.

- Fais ce qu'il te dit, conseille la prudente Marine.

Au lieu de cela, Béné se débat et lui mord sauvagement le bras. Le type entre alors dans une rage manifeste et sors un couteau de sa poche qu'il lui colle sous le menton.

Il n'y a personne d'autre que nous dans ce sous-sol. La musique est trop forte à l'étage pour qu'on nous entende. Pas le temps d'aller chercher de l'aide. Dans une fiction, en pareille circonstance, un preux chevalier intervient et met l'agresseur en déroute. Sauf que nos preux chevaliers à nous, gardent les enfants à la maison. Il va falloir se débrouiller sans eux. Je tiens encore ma bière à la main. Sans trop hésiter et encore moins anticiper les conséquences, je la lui explose sur le crâne. J'espère ne pas le rater, sinon, c'est moi qui vais prendre cher. Je suis donc momentanément soulagée de le voir s'écrouler au sol. Moins en constatant le sang qui commence à s'écouler des entailles de son crâne causées par les bris de verre. Béné m'attrape la main et nous entraîne vers l'escalier.

- Y'a quelqu'un qui s'est blessé en bas, préviens Marine en passant devant le comptoir, elle dépose aussi un billet de cent euros pour régler les consommations.

Nous l'attirons vers la sortie, pas le temps d'attendre la monnaie. Encore choquées par la scène, nous nous séparons sur le trottoir devant le bar, non sans avoir conclu un pacte de rester solidaires quoi qu'il advienne.

L'audacieuse Sofia Capriaglini Tome 3 : délit de fuiteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant