« Itona, tu peux m'dire où tu m'emmènes?
- Ferme-la et marche. Tu le sauras le moment venu. »Le brun soupira. Il enfouit son nez rougi par la basse température dans son écharpe foncée, fusillant l'ex-détenteur de tentacules du regard.
Terasaka ne comprenait pas.
Pourquoi avait-il fallu, par un froid pareil, qu'il se fasse traîner dehors à une heure aussi matinale?
En dépit de ses plaintes intérieures, les deux adolescents sillonnaient à présent silencieusement les petites ruelles de Kunugigaoka, engouffrés dans l'obscurité de la nuit. Pas un seul chat rodait dehors, ni même l'un de ces voyous qui attendaient le moment propice pour commettre l'une de leurs bêtises habituelles; vol, arnaques, bagarres, meurtres...
‹ Le monde part vraiment en couilles. › songea le plus jeune.
Ce dernier, à cette pensée, dévia son regard vers Horibe.
Son impassible visage était d'une finesse telle qu'on pouvait faire croire à n'importe qui qu'on l'avait sculpté avec des aiguilles. Ses petites lèvres blanches s'ouvraient et se clôturaient discrètement, laissant s'échapper de temps à autres des petits nuages de vapeur qui créaient un contraste flagrant avec la noirceur de la ville.
Ses yeux, eux, semblables à deux lingots d'or, scintillaient à en faire peur. On décelait une telle lueur dans son regard que n'importe qui s'amuserait à le soutenir s'en retrouverait hypnotisé. Enfin, ses cheveux dont la couleur n'était pas des moindres semblaient si doux, et Ryôma ne pouvait plus nier qu'il aimerait y passer ses mains jour et nuit.Oui, il y avait tant de chose qu'il aimerait faire, mais qui étaient, pour lui, tout bonnement impossibles à accomplir.
« C'est bon? T'as bientôt fini de me mater comme un vieux pédophile? »
La brute sursauta à la voix ferme de son ami qui s'était soudainement élevée, réfléchit un instant -sans doute le temps de comprendre le sens des paroles de ce dernier-, puis aboya à son tour:
« Mais c'est bon wesh, j'ai pas le droit de penser deux minutes?! »
Itona roula des yeux vers le ciel.
« On est presque arrivés. » l'informa-t-il.
Et Ryôma aurait juré avoir remarqué, malgré la pénombre, un petit sourire se tracer sur son visage avant que le blanc n'entame l'ascension de l'imposante colline qui se dressait fièrement devant eux.
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⋆ · ˚Des arbres dénudés, des buissons enneigés, un silence de mort. Un sentiment de vide troublant envahissait les alentours, comme si une présence malfaisante attendait les deux adolescents, là, cachée derrière les fourrés.
Mais aucun d'eux n'avait peur, se sentant même en sécurité dans ce climat nocturne angoissant, comme s'ils avaient toujours vécu ici.
S'adapter à tout endroit en n'importe quelle situation.
Il fallait croire que c'était ça, être un assassin.
Terasaka leva les yeux au ciel parfaitement dégagé, où les étoiles et le croissant de Lune semblaient danser en harmonie.
Il ne put réprimer soupir agacé, fatigué, presque frustré alors qu'il se remémorait la bataille de valeurs livrée il y avait de cela quelques semaines maintenant; un dilemme, deux solutions parfaitement opposées.Il fallait croire que l'existence n'était pas si facile pour ces adolescents autrefois méprisés auxquels la vie a fait la confession d'une âme qui reposaient à présent entre leurs frêles mains d'enfants.
Un énième soupir franchit la barrière que formaient les lèvres rèches du brun. Le plus petit lui lança un regard par dessus son épaule; un regard entendu.
Un regard qui voulait tout dire.Le silence qui régnait entre eux était pesant, mais loin de gêner les deux jeunes hommes qui, après quelques petites enjambées seraient déjà parvenus en haut de la colline endormie, à peine éclairée par le faible néon lunaire.
« J'en ai marre. »
Le cancre déposa un furtif regard sur son locuteur.
« J'en ai ras le bol de toutes ces décisions qu'on est tous sans cesse obligés de prendre. »
Et rien n'aurait pu qualifier ô combien Terasaka partageait ses sentiments à cet instant précis.
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⋆ · ˚Ils arrivèrent finalement au centre d'une petite clairière, non loin du bâtiment où ils étudiaient depuis, maintenant, presque une année.
Itona s'assit à son centre, à même la sombre herbe fraîche et les petits tapis de neiges éparpillés de part et d'autre sur la surface verdâtre. Après un petit moment d'hésitation, le plus grand finit par l'imiter, se demandant toujours les raisons de cette promenade nocturne.
Il déposa une autre fois son regard sur le mécanicien, qui, à sa grande surprise, l'observait déjà. Ses orbes trahissaient une petite lueur d'inquiétude, mêlée à l'apaisement que lui procurait l'atmosphère.
Ses lèvres s'ouvrirent et se refermèrent aussitôt.Non, les mots n'étaient pas vraiment nécessaires à ce moment-là.
Horibe déposa dans un élan délicat sa main sur celle de son ami, d'une douceur jusque là inconnue pour ce dernier.
« J'ai entendu parler d'une pluie d'étoiles filantes, y a quelques jours. »
Ryôma haussa un sourcil, l'insitant ainsi à continuer.
« Alors..., continua l'intéressé d'un ton inhabituellement gêné, sûrement peu accommodé à ce genre de discours, vu que t'es aussi lunatique que le ciel, je me suis dit que ça pourrait te plaire. »
C'était donc ça.
Le brun ressentit une douce chaleur bien qu'inexpliquée envahir son corps. Il n'en fit pas cas, et se contenta d'étirer son sourire en un rictus moqueur.
« Je savais pas que tu pouvais être aussi gnangnan. »
Itona inclina un peu la tête, sûrement dans le but de dissimuler un faible rougissement.
« C'est peut-être le dernier beau truc que tu verras dans ta vie, alors ferme-la avec tes réflexions stupides. »
Terasaka s'apprêtait à répliquer lorsqu'un éclair attira son attention vers le ciel. Son regard se dirigea par pur réflexe vers le vaisseau lumineux qui, bientôt, fut suivi de plusieurs autres semblables, mais tous plus beaux les uns que les autres.
Les astres au loin semblaient briller plus fort que d'habitude, si ce n'est le magnifique bal qu'entamaient les météorites, accompagnées du pâle croissant de Lune.
Les yeux des deux adolescents brillaient sous toutes ces lumières astronomiques, quand le brun, pris au piège dans sa transe, sentit un poids se déposer contre son épaule.
Le doux vent de Février sembla se lever, et à cet instant précis , le temps parut s'arrêter. Les battements du cœur de Terasaka accélérèrent à ces quelques mots, tel un soupir silencieux que lui seul pouvait entendre.
« Fais un vœux, idiot. »