Paysage d'hiver éphémère

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J'avais pour habitude de monter sur une petite colline, autrefois. Petit garçon de neuf ans que j'étais, je voulais découvrir le monde qui m'entourait malgré les avertissements de ma mère.

Je gravissais la petite butte enneigée, mes mains engourdies par le froid s'enfonçant mollement dans le tas. Arrivé au sommet, je me redressais sur mes deux jambes en prenant appui sur le petit rocher rocailleux sur le côté, défiant le vent frais de l'hiver. Celui-ci me fouettait le visage, et mon nez déjà rougi en prenait un sacré coup. Par chance, mon bonnet en laine marron me protégeait les oreilles. Mon écharpe, en revanche, gâchait quelque peu la vue avec le vent qui le malmenait.

Je décalais l'écharpe en laine cramoisie de ma vue, tandis que mon regard s'attardait sur une fine branche nue d'un arbre, recouverte d'un manteau de neige d'un blanc immaculé. Sous le poids de la couche, la branche se pliait,déversant lourdement le petit monticule de flocons entassés au sol. Elle reprenait sa position initiale après quelques tremblements.

Or, la neige ne tombait pas directement au sol. Elle tombait sur la tête d'une petite hermine qui semblait avoir enfilé son manteau d'hiver. Le mammifère secouait la tête et passait ses pattes sur son crâne afin de se débarrasser de la neige d'un air contrarié. Par la suite, ses yeux d'un noir profond se posaient sur moi lorsque j'avais fait écroulé un peu de neige de la colline. Son museau frémissait en ma direction. A première vue, je pensais que c'était pour me sentir. Finalement, elle se sauvait en grimpant à un arbre lestement à l'aide de ses griffes, puis sautait sur un autre, et encore un autre,de branche en branche. Je soupirais longuement, de la buée sortant de ma bouche et frôlant mes lèvres violacées.

Rare se faisait le chant des oiseaux durant cette saison, même en pleine forêt. On aurait presque dit qu'elle était vide. Totalement. Le crépitement de la neige sous nos pieds pouvait sûrement être entendu à au moins cinq cent mètres de la source. La chasse était rude, autant pour nous que pour les animaux. Mais que la vue était magnifique...

La lueur du soleil couchant donnait une teinte légèrement orangée à la neige au sol et sur les arbres, la faisant chaleureusement scintiller. Cela signifiait pour moi la fin de la contemplation.

Légèrement dépité, je me frottais frénétiquement les bras afin de ressentir un peu de chaleur, ou du moins la sensation. Par la suite, je rentrais chez moi en traînant des pieds.

C'étaient de beaux souvenirs que j'avais là. Chaleureux et rassurants.

Au mois de mai, je revenais sur cette même colline, sans cette fichue écharpe et ce bonnet. La vie avait reprit son cours, les animaux avaient retiré leur pelage hivernal, les arbres avaient reprit leur feuillage et le doux chant des oiseaux... n'était pas revenu. Cela me paraissait étrange. C'était calme. Mais pas le même qu'en hiver. C'était un calme pesant.

Au bout d'un certain temps,je me mettais à entendre un bourdonnement désagréable au fond de la forêt. Petit à petit, les arbres s'agitaient. Non. Ils tombaient. Comme des mouches. Par réflexe, je m'étais reculé d'un pas, le cœur battant, mais le regard toujours rivé sur la scène. Enfin, à travers les bois, j'apercevais plusieurs chars de guerre.

A ce moment-là, je ne savais pas que ce serait sûrement la dernière fois que je verrais ce beau paysage enneigé tant convoité.

Lliapi

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