Désillusion

Et Narcisse se fane

Regardez la, cette jeune fille aux longs cheveux blonds.

Juste ici, en face de vous !

Vous ne la voyez pas ? C'est impossible, enfin ! Cette demoiselle est semblable à un aimant, et sa beauté magnétique est irrésistiblement attirante.

C'est un fait. Lorsqu'elle se déplace, les gens s'écartent pour la laisser passer. Lorsqu'elle parle, chaque personne est pendue à ses lèvres. Et lorsqu'elle s'adresse à vous, ne serait-ce que pour vous saluer, vous ne pouvez que l'observer intensément, les yeux ébahis et le sourire hagard, ébloui par une telle beauté.

Evidemment, la sublime blondinette s'en rend bien compte. Oui, elle est belle, et l'image que son petit miroir lui renvoie ne peut affirmer le contraire !

En fait, elle s'en rend tellement compte qu'elle en oublie parfois presque le monde qui l'entoure. Mais après tout, a-t-elle besoin des autres humains pour se rappeler de son incroyable beauté ? Bien sûr que non, cette fille en est capable toute seule. Il lui suffit juste d'ouvrir le petit miroir qui l'accompagne partout et de se regarder. La contemplation de sa petite personne est sûrement son activité favorite. Tenez, elle est encore en train de s'admirer !

Le monde s'arrête presque de tourner lorsque la demoiselle voit son reflet.

Mais laissons-la à son occupation, maintenant. A présent, concentrons-nous sur ce jeune homme, le petit brun aux yeux clairs, juste ici. Vous le voyez ?

Regardez attentivement ses jolies pupilles, qu'observent-elles à votre avis ?

Vous l'avez deviné, n'est-ce pas ? Toute son attention est focalisée sur la jeune fille. Il la dévore des yeux, mais il ne sait pas encore qu'elle va le détruire à tout jamais.

Voyons, que fait-il ? Eh bien, on dirait que ce jeune garçon a une idée en tête !

Observez le se diriger vaillamment vers la fine silhouette de la belle blonde, s'avancer lentement mais sûrement, puis s'immobiliser devant elle pour enfin la regarder amoureusement. Quelle ambition ! Sa bouche s'ouvre, se transforme ; vous le comprenez désormais, le petit brun déclare sa flamme à l'élue de son cœur. Et si vous suivez attentivement la scène, vous pouvez remarquer qu'il dépose délicatement un petit cœur en cristal dans la main de la demoiselle.

Vous suivez la jeune fille du regard. Celle-ci examine le petit objet sous toutes ses coutures, dubitative, espérant voir son visage s'y refléter. Peine perdue. Sans y parvenir, rongée par la frustration, elle jette la sculpture par terre avant de l'écraser impassiblement sous le talon de sa bottine.

Ressentez-vous la douloureuse peine du jeune garçon ? Comprenez-vous son désespoir amoureux ? Le voyez-vous ramasser les restes de son cœur brisé, faisant ainsi couler le sang de sa main ?

Dorénavant, le petit homme se trouve bien loin. Plus rien n'a d'importance à ses yeux.

De son côté, la jeune fille s'admire encore et toujours, indifférente aux maux de l'univers.

Tellement indifférente que cette fois-ci, la belle blonde n'entend plus ce qu'il se passe autour d'elle. Il n'y a que ses traits parfaits et ses cheveux soyeux qui comptent, et elle ne peut plus détacher son regard de son reflet. Plus rien d'autre n'existe, elle seule se perçoit.

Comme hypnotisée, les sourcils froncés, la demoiselle n'a plus qu'une seule idée en tête ; elle ne se trouve plus belle, non. Elle se trouve plutôt délicieusement magnifique, incroyablement sublime, parfaitement irrésistible !

C'est du jamais-vu, n'est-ce pas ? Un tel degré d'amour propre était encore impossible auparavant.

Pourtant, la jeune fille est tellement absorbée par la contemplation de son visage si harmonieux qu'elle ne sent même pas le petit miroir glisser de ses doigts. Elle ne réagit pas lorsque celui-ci se brise en mille morceaux en atteignant le sol. Elle ne bouge pas quand les éclats de verre se répandent joyeusement autour d'elle.

Mais c'est normal, elle n'existe plus.

Voyez-vous, trop s'aimer soi-même, oublier les autres, voilà qui est dangereux.

Et si Narcisse vous a légué sa faiblesse, faites attention. Votre reflet vous perdra sans finesse.