C'était ma première année d'exercice en tant qu'infirmière, je travaillais de nuit dans le service de réanimation Neurochirurgicale. Nous étions en grande garde sur le secteur Paris île de France ; c'est-à-dire que nous devions gérer les urgences en plus de nos patients.
Un soir, en faisant la répartition des malades, je me retrouvais avec deux enfants en charge, il me restait un lit vacant. Nous avions été prévenus par le téléphone rouge d'un transfert par le SAMU. Le petit Mohamed-Ali âgé de 8 ans, avait été victime d'un accident de la voie publique.
Lors d'une chasse poursuite entre la police et un fugitif en scooter, Mohamed-Ali avait été heurté par un des véhicules. Le SAMU nous l'avait amené toutes sirènes hurlantes. Le petit garçon était sédaté et en coma artificiel. Nous l'avions installé sur un lit médicalisé dans un des boxes dont j'étais responsable.
Je l'avais pris en charge avec Frantz, l'un des aides-soignants. C'était le plus efficace de l'équipe, il n'avait pas les deux pieds dans le même sabot. (Plus tard, il passerait le concours puis ferait l'école d'infirmières suivant mes conseils). Tous les deux nous installâmes les électrodes du scope, Frantz L'alluma et fit les réglages. Puis nous vérifiâmes ensemble la VPC (voie périphérique centrale), le tensiomètre en place contrôlait la pression artérielle toutes les 5 minutes, la saturation en oxygène était prise en direct, la PIC (pression intracrânienne) était plus ou moins stabilisé. Elle était l'indicateur d'un éventuel hématome intracrânien.
Les sédatifs et les morphiniques étaient distribués par les pousses-seringues, reliés à la perfusion qui était perméable. La diurèse était en cours, la sonde urinaire avait été posée lors de la prise en charge du petit sur le lieu de l'accident. La sonde d'intubation que le SAMU avait posée était également perméable, j'avais procédé aux aspirations pour vérifier. Frantz faisait le tour des machines et notait les différentes valeurs.
Pour le moment, Mohamed-Ali était stable. Nous pouvions passer à nos autres petits patients. Toutes les heures nous devions effectuer le relevé des machines et faire les soins de nursing, c'est à dire mobiliser manuellement l'enfant et le masser, ces soins demandais précision et douceur. Nous devions également vérifier les réflexes pupillaires, et rechercher les signes éventuels d'un enfoncement dans un coma profond (syndrome d'enroulement des membres), ce qui aurait été une urgence chirurgicale. Tout se passait bien.
Dans le service, il était de coutume de garder les mêmes patients en dehors de nos repos. Je retrouvais donc Mohamed-Ali le lendemain, ainsi que Frantz qui était sur le même roulement que moi. Frantz et moi étions persuadés que les patients dans un coma vigile entendaient ce que nous disions, aussi nous parlions à nos petits patients pendant les soins.
Un soir, je m'aperçus que Mohamed-Ali avait des œdèmes importants aux membres inférieurs, j'appelais l'orthopédiste de garde qui pratiqua des incisions de décharge. Il le mit également sous diurétiques afin d'accélérer sa diurèse et de favoriser l'élimination des fluides. Ceci permettrait de soulager sa fonction respiratoire.
L'état de Mohamed-Ali se maintenait stable, malgré cet épisode et tout rentra dans l'ordre. Parfois il m'arrivait de lui parler du boxeur dont il portait le nom, et je lui disais « allez courage, toi tu es un battant, tu t'en sortiras mon grand ».
Son père venait quand il pouvait, il s'asseyait auprès de lui, lui prenant la main et le regardant tristement, les yeux humides. Je lui dis « parlez lui, je sais qu'il vous entend ». L'état de Mohamed-Ali s'améliorait de jour en jour. Il finit par sortir du coma. Quelle ne fut pas ma surprise lorsqu'il m'appela par mon prénom. Je lui demandais comment il le connaissait, il me répondit « ta voix, tu me disais bonjour et tu me disais ton prénom, je connais ta voix ». Les larmes me vinrent aux yeux, j'étais émue.
Quelques temps après il fut transféré en orthopédie, puis dans un centre de rééducation et suite de soins. Six mois plus tard, Mohamed-Ali revint nous voir avec son père. Il pouvait de nouveau marcher, avec aide. Ne lui avais-je pas dis que c'était un battant ? Chaque jour nous croisons des combattants de l'impossible, leur courage nous rend plus humbles face à la vie.

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Mohamed-Ali
РазноеCette histoire a été vécue. Il s'agit ici de lutte et de courage, dans la vie rien n'est jamais acquis, mais rien n'est perdu non plus. J'ai rencontré Mohamed-Ali de son prénom sur mon lieu de travail, ce jeune garçon formidable a lutté pour s'en s...