Chapitre 2

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Vingt minutes de retard. Quelle honte.
Mathis consulta encore sa montre de luxe, et regarda pendant quelques secondes la grande aiguille trotter dans le cadran, avant de laisser sa manche retomber sur son poignet en soupirant. Vingt-et-une minutes.
Il s'assit sur son fauteuil trop grand pour un seul homme, devant son bureau plus spacieux que la salle de bain de la plupart des habitants de son pays.
C'était louche.
Et si quelque chose de grave était arrivé ? Mathis vérifia une septième fois l'heure de son rendez-vous, espérant peut-être avoir mal lu son agenda les six fois précédentes ; mais non. Vingt-trois minutes.
« -Merde. »
C'était de l'exaspération plus que de la colère. Il se leva et commença à arpenter son bureau de long en large, faisant les cent pas, cogitant. Il devait se passer quelque chose, forcément. Pourquoi ne le prévenait-On pas d'un quelconque retard ? Cela faisait bien longtemps que personne ne s'était permis de le faire poireauter, et encore moins sans prévenir. Et si quelque chose empêchait de le prévenir ? Non, il se faisait des films.
« -Monsieur ? se hasarda sa secrétaire qu'il n'avait même pas vue entrer dans son bureau. »
Il répondit si vite qu'elle en eu presque peur.
« -Oui, Orane ? Que se passe-t-il ?
-Euh... Et bien, beaucoup de choses, Monsieur ! »
Devant son air intrigué, elle comprit qu'il n'était pas au courant.
« -Vous n'avez pas vu les nouvelles ? »
Il remarqua alors que ses yeux clairs étaient rougis comme son long nez, sûrement de pleurer. Quelque chose n'allait pas, il l'avait senti.
« -Non, quelque chose est arrivé ? demanda-t-il en connaissant déjà la réponse.
-Oh, Monsieur... gémit-elle en retenant manifestement ses larmes. Je suis désolée. Votre rendez-vous ne viendra pas, Monsieur le Premier Ministre vous l'expliquera mieux que moi, je vous transfert l'appel. Et... encore désolée. »
Il ne répondit même pas et la regarda repartir. Quelques secondes plus tard, son téléphone sonna. Il décrocha aussitôt.
« -Allô ? se pressa-t-il
-Allô, Monsieur le Président ? lui répondit-on. »
La voix de son interlocuteur tremblait, il semblait être dans tous ses états.
« -Bon sang, mais que se passe-t-il ?
-Monsieur, c'est une première dans l'Histoire de l'Humanité, je... hésita-t-il.
-Mais parlez !
-La... La moitié du pays a disparu, Monsieur... »
Il fallut quelques secondes à Mathis pour réaliser ce qu'on venait de lui dire.
« -Je... Je ne comprends pas...
-Personne ne comprend, Monsieur. »
Il se rassit sur son large fauteuil qu'il avait quitté quelques minutes plus tôt lorsque son seul soucis était un petit retard de vingt ou vingt-deux minutes.
« -Expliquez-vous, que voulez-vous dire par ''disparu'' ?
-Disparu, balayée, envolée, évaporée, tout bonnement rayée de la carte !
-Mais... Comment ? Pourquoi ?
-Nous ne savons pas, Monsieur. Nous ne savons rien. »
Mathis réfléchir quelques instants, trimant pour remettre de l'ordre dans ses idées. Son Premier Ministre reprit la parole avant lui.
« -Tout le Sud du pays est touché, depuis Bourges, emportant aussi les îles italiennes, jusqu'aux pays du Maghreb pour la plupart. L'Algérie, le Maroc, une partie de la Tunisie... Il n'en reste rien, si ce n'est, au sol, une énorme cicatrice prenant la place de tout le territoire touché, terre comme mer. Une espèce de flaque noire et blanche magnétique non-identifiée... décrivit-il plus pour tenter de comprendre lui-même que pour Mathis. Ça coupe toute connexion réseau à proximité, mais, heureusement, ça n'a pas l'air dangereux. Enfin, ça ne grossit pas, ça ne s'étend pas. Ça semble n'être que la conséquence de... Enfin, de l'accident...
-Oui, oui... Le périmètre a été sécurité ?
-Naturellement, Monsieur. Mais c'est un phénomène mondial, la Terre entière en parle, c'est devenu ''Top Tendance'' sur les réseaux sociaux en quelques minutes seulement. On craint que des centaines, même des milliers de curieux tentent de s'en approcher. Des témoignages de l'autre côté de la Méditerranée rapporter que les personnes ayant été en contact avec la...chose, auraient tout simplement disparu, elles aussi.
-Seigneur...
-Monsieur le Président, nous devons agir vite. Le pays entier est en crise. Les transports sont interrompus, des familles entières pleurent leurs disparus, certains tentent de contacter des proches mais les lignes téléphoniques saturent, nous ne savons pas le bilan des pertes humaines mais on estime qu'il atteint les plusieurs millions, les économistes paniquent, les plus pragmatiques s'arrachent les cheveux à comprendre, les complotistes accusent Donald Trump ou la Reine d'Angleterre, quant aux religieux, ils crient à la punition divine...
-Bien, assez, le coupa-t-il. »
Son Premier Ministre semblait encore plus paniqué que lui. Il réfléchit quelques instants. Ça faisait beaucoup à entendre en si peu de temps, et la tête de Mathis était en fusion.
« -Monsieur ?
-Oui, je vais faire une annonce publique, faites réunir la presse, mais laissez moi le temps de me préparer un peu.
-Bien Monsieur le Président. Une dernière chose...
-Qu'y a-t-il ?
-Toutes mes condoléances.
-Vos c... »
Soudain, les yeux de Mathis s'écarquillèrent de manière presque inhumaine. Pensant sa femme allongée dans leur chambre, se reposant de ses sept mois de grossesse, il en avait complètement oublié où elle était. Le sort, semblait-il, lui jouait un tour malicieux, et sa femme en était un dommage collatéral.
Mathis ne put bouger pendant de longues minutes, laissant le combiné contre son oreille alors même que le ministre avait raccroché depuis longtemps.

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