L'Herboriste - Les Thaumaturges I

Survivants (4) - Niédar

Niédar avançait d'un pas vif dans les rues d'Opewan, constituées en partie de passerelles et de coursives à plusieurs dizaines de mètres du sol. La ville, capitale du royaume elfe d'Iwis, était bâtie en symbiose avec d'immenses arbres millénaires. Pierre et bois s'entremêlaient du sol aux frondaisons dans une harmonieuse composition de nature et d'architecture.

Des nuages avaient envahi le ciel, masquant la lune et plongeant la ville dans les ténèbres. L'air était chargé d'une odeur de pluie et d'humus qui présageait d'un orage à venir. Il régnait entre les arbres un silence surnaturel et peu commun, comme si la forêt elle-même retenait son souffle avant l'agitation qui ne manquerait pas d'éclater à la découverte du corps de Loxoscélès. Pour le moment, les rues étaient vides.

Empruntant un escalier construit autour du tronc d'un arbre immense, Niédar gravit les marches pendant de longues minutes avant d'atteindre les Hauts-Quartiers de la ville. Puis il prit la direction de l'est et gagna le quartier d'Érésil. C'était un endroit étrange et fantomatique. Plusieurs siècles auparavant, l'aristocratie opewanaise y avait élu domicile pour son panorama à couper le souffle sur le Lac aux Papillons et sur les montagnes au-delà. Depuis qu'une colonie de Morts-Vivants s'était installée sur la rive opposée, le quartier tout entier avait été laissé à l'abandon. Seuls restaient au bord du lac les infrastructures fluviales des Bas-Quartiers qui reliaient Opewan aux autres provinces, sous la surveillance continuelle des casernes militaires établies dans les Quartiers-Intermédiaires.

Pour l'heure, le lac n'était qu'une masse lugubre plus sombre encore que le ciel.

Alors que les premières gouttes de l'orage commençaient à tomber, Niédar s'engouffra dans une villa à l'abandon. C'était une grande bâtisse suspendue entre les arbres. Il y régnait une atmosphère sinistre de décrépitude et de délaissement. Çà et là, quelques meubles cassés témoignaient d'un passé grandiose depuis longtemps oublié. La toiture était abîmée et plusieurs fenêtres brisées. La pluie et le vent y avaient élu domicile.

Sans hésiter, Niédar gravit une volée de marches et poussa la porte devant lui. Il se trouva dans une antichambre où l'attendaient deux personnes vêtues de longues pelisses grises à capuche et portant le même masque blanc que lui. Les silhouettes le fixèrent un instant dans une interrogation muette et Niédar hocha la tête. Une excitation fébrile s'empara des deux autres qui se hâtèrent de l'aider à retirer son capuchon et à passer une pelisse par-dessus ses vêtements. À aucun moment il ne retira son masque.

Ensuite, les deux silhouettes ouvrirent une double porte au bout de l'antichambre et il pénétra dans la salle de réception de la villa. Large, mais assez peu profonde, elle avait dû accueillir plus d'un bal. Le mur du fond n'était qu'une immense baie vitrée donnant sur une terrasse qui surplombait le lac. Mais en cet instant, l'orage offusquait tout de son martellement violent. À l'intérieur, on avait allumé plusieurs dizaines de chandelles qui projetaient une lumière jaunâtre sur la scène. Une longue table de bois, probablement dressée pour l'occasion, se trouvait au centre de la pièce par ailleurs complètement vide.

Une quarantaine de personnes masquées se trouvaient là à l'attendre. Ceux qui l'avaient assisté dans l'antichambre avaient pris place et il ne restait que deux sièges vacants, de part et d'autre du Grand Chancelier reconnaissable à sa lourde médaille d'or. Le héros Grachéos terrassant le dernier dragon y était représenté.

Niédar s'assit à sa gauche, laissant à l'invité de marque qu'ils attendaient ce soir-là la place d'honneur.

Le Grand Chancelier prit la parole :

— Chers Grachéens, nous voici au complet.

Niédar tiqua sous son masque. Où était le Brise-Lame ? Son absence n'était pas normale. De plus, Niédar trouvait qu'il était particulièrement naïf et dangereux de s'être tous rassemblés en un même lieu, à Opewan qui plus est.