Dans une ruelle sombre et malodorante d'un petit village de montagne se tenait une jeune fille, tout du moins semblait-elle jeune, car elle ne fêtait plus son anniversaire depuis des centenaires ; À quoi bon ? De toutes façons, ses traits fins et distingués ne changeaient guère, et même le temps réputé ravageur n'avait aucune emprise sur elle.
Elle était descendue sur terre pour accomplir une mission confiée par Dieu en personne : protéger Mme. Magdaleine de Valfroid, une croyante fidèle vouant une passion sans faille à la religion, de son futur agresseur, un hérétique dérangé désirant sa mort.
Or, malheureusement pour la croyante, cet ange-là n'était pas du genre docile et passait au travers de toutes les règles qui lui étaient imposées ; c'est pour cela qu'elle avait décidé de simplement laisser faire l'agresseur. Cependant, ses résolutions furent bien vite mises à l'épreuve par une rencontre inattendue :
« Est-ce que... Vous allez bien ? »
La question était posée par une jeune femme au visage que l'on n'oubliait pas si facilement : la fameuse Magdaleine. D'abord étonnée que quelqu'un lui adresse la parole, puis captivée par la beauté de son interlocutrice, l'ange ne répondit rien. Elle fut tirée de sa transe momentanée par la main de la croyante qui s'était tendue vers elle.
« Oui... Merci. »
Elle l'attrapa et s'en aida pour se relever, puis épousseta sa longue robe blanche maculée de terre séchée. Elle était dans un piteux état, après sa descente. À côté de l'élégance de la femme qui venait de lui parler, elle se sentait bien misérable. Mme de Valfroid s'inquiétait pour la jeune fille ; assise par terre, dans une ruelle mal fréquentée, les yeux vides et le visage penseur, qui savait ce qui lui était arrivé ?
Magdaleine décida d'offrir à la jeune fille de venir chez elle et d'y passer la nuit, et elle accepta. La remerciant, elle se laissa guider par son hôte au sourire éternel.
Le soir arriva vite, et un grand homme fit son apparition chez la croyante. Il semblait épuisé et arborait une barbe semblant dater de trois jours. La femme l'accueillit chaleureusement ; il s'agissait de son mari. L'ange eut un drôle de pincement au cœur en les voyant s'embrasser. Pouvait-il s'agir de jalousie ? Aurait-elle eu le coup de foudre pour Magdaleine ? Elle savait que l'amour lui était un sentiment interdit, mais si en plus la personne pour qui elle le ressentait était une femme... Que lui arriverait-il ?
Les jours passèrent, les sentiments de l'ange grandissaient en elle et devenaient de plus en plus fort chaque jour, tant l'amour que la jalousie. Tout cela au point qu'il lui devenait de plus en plus insupportable de voir le mari de sa belle, tant et si bien qu'elle finit par commettre l'irréparable : se débarrasser de lui. Définitivement.
Quand la fiancée apprit la nouvelle, elle devint inconsolable. Elle pleurait continuellement, et l'ange en vint à se sentir coupable. Tout ce qu'elle voulait, c'était avoir Magdaleine pour elle seule... Mais maintenant, ce sourire qu'elle désirait tellement s'était mué en larmes. L'ange tenta de consoler sa belle mais elle fut rejetée. Honteuse et détruite, elle accorda le même sort à l'hérétique qu'au mari et remonta auprès de Dieu afin de s'y lamenter. « C'est si cruel. » pensait-elle.
Après cinq ans, l'ange en robe blanche se décida à redescendre : l'absence de Magdaleine était trop dure à endurer. Elle n'eut aucun mal à la retrouver, elle était chez le fleuriste. C'était peu étonnant, car aujourd'hui était l'anniversaire de la mort de son mari. Elle achetait des fleurs à déposer sur sa tombe. L'observant de loin, la jeune fille sentit le remord refaire surface, alors elle serra la mâchoire.
Ses sentiments étaient aussi forts qu'auparavant, elle n'en avait aucun doute. Mais même malgré tout cela, elle ne pouvait aller parler à l'élue de son cœur, elle ne serait pas capable de lui faire face. Si seulement elle avait été un homme qui aurait pu combler Magdaleine...
Sur la tombe de son aimé, la veuve pleurait. Ce qui l'attristait tant, ce n'était pas la mort en elle-même, car elle s'en était remise. Non, le pire pour elle était de ne pas savoir à quoi il avait succombé. Qui aurait pu deviner que sa disparition était due à la jalousie d'un ange ?
Un homme s'approcha d'elle et posa sa main sur l'épaule tremblotante de la femme. Il possédait les mêmes caractéristiques physiques que la jeune fille recueillie par la croyante dans le passé et était aussi charmant qu'un homme puisse l'être. En posant les yeux sur lui, elle sentit son cœur manquer un battement et un vague sentiment de familiarité l'envahit. Elle se résonna cependant en se disant qu'elle s'en serait souvenue, si elle avait déjà rencontré pareille beauté. Elle n'arrivait plus à penser. C'était le coup de foudre. L'homme, semblant atteint du même sentiment amoureux soudain, prit la femme dans ses bras. Bien que cette action parut irrespectueuse, indécente et insensée aux yeux des autres visiteurs du cimetière, Magdaleine ne s'en soucia pas. Elle n'avait pas la tête à cela.
Les jours passèrent, les amoureux se côtoyaient souvent. Ils vivaient leur amour au jour le jour, librement, sans plus se soucier des règles ou des lois, ni même des hommes ou du Seigneur. Puis vint le jour maudit où Magdaleine brisa sa promesse pure faite à Dieu. Dans son dos, l'homme portait deux larges cicatrices parallèles partant de ses omoplates... Il était une fois un ange qui abandonna ses uniques ailes au Diable en échange d'une vie d'homme sur terre.
Les deux amants se marièrent, leur amour durait, encore et toujours, sans que celui qui rendait à présent Magdaleine heureuse n'ait révélé son secret. Cependant, il y avait un problème : Dieu savait tout et ne pouvait plus tourner la tête, alors il abattit la mariée. En rentrant, le soir, l'ange découvrit le cadavre ensanglanté de sa femme. Il n'y croyait pas. Il se laissa tomber au sol, dans la mare écarlate, et pleura. Tous les sacrifices, les moments de douleur, de chagrin, de malheur... Tout cela était-il donc vain ?
Non, il ne pouvait l'accepter. Il avait compris que Dieu s'était vengé, qu'il ne pouvait plus le pardonner ni lui accorder de pitié altruiste. Qu'aurait-il pu faire de l'ange désobéissant, à part le punir ?
Avec dans ses bras le corps sans vie de sa bien-aimée, le marié murmura :
« Ma chère et tendre, froide et couchée. Je vais vivre ma vie pour toi, comme je te l'ai promis ce jour-là. Mes péchés contre Dieu... »
Il était une fois un ange...
« Ma traîtrise, mon arrogance, mes mensonges... Tous devront se payer par ma mort. »
Qui abandonna ses uniques ailes au Diable...
« Je vais donc mourir pour toi. C'est comme cela que je tiendrai ma promesse. »
En échange d'une vie d'homme sur terre...
« Je crois que mon plus grave péché, c'est de t'avoir aimée. Adieu. »
Le Diable ramena la fille mais... L'ange disparut.
Il était une fois un ange déchu qui sauva de la Mort la femme dont il était amoureux.
Il était une fois un ange qui avait été puni pour avoir aimé.