Sur twitter depuis quelques temps, l'excellent @_KeoT_ (@KeoTauteur) propose à une petite troupe toujours plus grande d'auteurs de rédiger un texte libre, chaque jour, sur une image issue de la bibliothèque de @archillect.
Adepte, et chanceux partic...
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Source de l'image : @archillect (twitter)
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J'ai toujours eu très peur de la mort. Depuis toute petite. Je n'ai pas peur de la douleur, pas peur de m'en aller, mais peur qu'à la dernière seconde j'ai un regret. Peur que mon ultime instant de vie soit un instant triste. Peur également de voir disparaître petit à petit, sans que je ne puisse rien faire, tous ceux qui constituent mon univers.
Aussi, j'essaye d'imaginer tout ce qu'il faudrait pour me débarrasser de ces angoisses. Et j'en suis venu à la conclusion que mon monde doit devenir éternel. Si personne ne meurt, je serai sauvée.
Mais je suis intelligente, je sais que si personne ne meurt jamais, la Terre finira par être surpeuplée. Alors il sera tout de même nécessaire que des gens disparaissent. Mais pas ceux que je connais. Ceux que je connais doivent vivre pour toujours, et doivent garder exactement le même aspect que celui qu'ils ont aujourd'hui. Moi non plus je ne changerai pas. Je resterai à mes treize ans.
Il faut que je dresse une liste, pour n'oublier personne.
Donc il doit évidemment y avoir toute ma famille. Enfin presque toute. Les cousins qu'on ne voit jamais peuvent bien mourir, et mes grands-parents aussi, sinon je serai la seule à l'école à ne jamais aller à un enterrement, et personne ne viendra me consoler de ces épisodes douloureux. Mes amis bien sûrs, en tout cas les plus proches. La boulangère, qui est adorable, mais pas le boucher, il me regarde toujours bizarrement. Le monsieur de la station essence car il raconte à chaque fois des bêtises à papa, et ça le fait rire. Celui-là je lui offre. La coiffeuse de maman qui nous reçoit chaque samedi matin avant d'aller au marché. La présentatrice du journal aussi. Celle du soir, on l'aime bien, les autres sont nuls. Et tout un tas de personnes indispensables pour que ma vie reste comme elle est aujourd'hui. Tant pis pour les exclus. Je n'ai pas le temps de m'occuper de tout le monde, et en plus ils vont prendre trop de place.
Cette liste je l'ai commencée il y a quelques jours déjà, mais elle est presque terminée. C'est ce soir, dans mes rêves, que tout doit prendre forme, et demain ce sera ma réalité, j'en suis persuadée !
Mais en refermant la porte de ma chambre tout à l'heure, mon regard s'est un peu perdu dans le vide. Étais-je sûre de n'avoir oublié personne ? Que se passerait-il si à mon réveil je m'apercevais qu'il manquait à mon paysage idéal et immuable quelqu'un d'essentiel ? Ça m'a tétanisé.
Mais j'ai fini par aller me coucher. Je suis grande maintenant, et je pourrai certainement survivre à un léger oubli. Et puis ma liste est déjà longue.
Tiens. Et comment allons-nous faire pour que personne ne s'interroge sur le fait que nous ne vieillissons pas ? Et devrai-je aller à l'école jusqu'à la fin de temps ? La fin de temps... je n'avais pas pensé à celle-là. Il va falloir aussi que je m'occupe de la supprimer. Le cosmos me doit bien d'être sans fin.
Ça suffit, il est tard, je dois dormir. Demain je devrai parler à toute ma liste de gens pour leur expliquer le miracle qui se sera produit dans la nuit... ça va me prendre un temps fou. Mais du temps j'en aurai plein. À jamais.
