RÉSILIENCE

Jay

« Tes yeux sont trop grands, on voit ton cœur à travers quand tu ris. »

-M. Malzieu.

Chapitre 1.

Je me pinçais le bout des doigts en regardant les revues sur la minuscule table basse. Le journal étudiant attirait mon regard sans que je n'ose le prendre. Je n'avais pas assez de temps pour le feuilleter, à la place, je récupérai furtivement une brochure contre le harcèlement sexuel à l'université. Quelques lignes de prévention, les rappels juridiques et, enfin, les numéros d'urgences en quatrième de couverture.

Je peinais à garder mon calme au milieu de cette vaste pièce impersonnelle dans laquelle je n'étais pas retournée depuis six ans. Pourtant, je travaillais toujours au même endroit, passais mes examens dans le bâtiment adjacent et, aujourd'hui, j'enseigne principalement dans celui en face. Il n'allait certainement pas tarder à ouvrir la porte et je redécouvrirai l'éternelle tâche de vin qui mangeait la moitié de son visage mal rasé, son sourire automatique et sa bonne humeur même lors des pires récits. Je réalisais que cet homme m'avait presque manqué.

« Maja Hansen ? »

Je relevais la tête vers l'embrasure de la porte et découvrit un homme de petite taille au cou serré par un nœud papillon. Je me levais automatiquement à l'appel de mon nom et me surpris à le suivre dans le dédale des couloirs.

« Excusez-moi, commençais-je en entrant dans un bureau que je ne connaissais pas. M. Leroy n'est pas là ?

- Il a prit sa retraite il y a deux ans, m'informa-t-il en s'installant derrière un bureau impeccablement ordonné. Je le remplace depuis lors. Asseyez-vous, je vous en prie. »

Je m'exécutais docilement et maudit en mon fort intérieur la secrétaire, parti rapidement après avoir inscrit mon nom, sans même me dire que M. Leroy n'exerçait plus depuis longtemps.

« Très bien madame Hansen, commença-t-il en croisant les jambes. Quel est le motif de votre visite ? »

Je commençais à m'énerver. J'ai toujours eu horreur des formules toutes faites, des tics de langages ou de l'hypercorrection à l'oral. Son nœud papillon me sembla tout à coup ridicule.

« Et bien, je... Je suis désolé, je pensais que M. Leroy travaillait encore donc c'est un peu compliqué à expliquer, sans entrer dans les détails.

- Vous étiez une de ses patientes ?

- Oui, pendant mes premières années à l'université, on se voyait régulièrement, dis-je en tordant mes mains sur mes genoux. J'avais quelques problèmes et... Puisqu'il prenait beaucoup de notes, je pensais revenir le voir et reprendre un petit peu le fil des choses.

- Je vois, répondit-il pensif. Il fixait le bout de ses chaussures vernies et déglutit bruyamment. Je peux peut-être vous proposer de reprendre votre dossier et que nous en discutons ensemble ? »

Sans que je ne me rende compte, j'acquiesçais en souriant et j'ai immédiatement regretté de ne pas m'être levée en prétextant devoir partir. L'homme se tourna vers un large casier à tiroirs et se mit à chercher mon nom dans les nombreux dossiers qu'il contenait. Quelques minutes suffirent pour qu'il retrouve la pochette rouge dans laquelle M. Leroy avait inscrit mes pensées les plus intimes.

« Voilà... reprit-il en découvrant la première page. Donc, si je comprends bien, vous êtes venue la première fois en... 2013, c'est bien ça ?

- Oui, c'est ça.

- Bien, bien, bien... Je vous pris de m'excusez, je vais tenter de lire un petit peu les premières informations.

- Bien sûr, allez-y. »