C'était un vendredi pluvieux et misérable. La masse nuageuse noire tourbillonnant lentement en de curieuses et grotesques arabesques avait de cela comme unique mérite que de changer de l'habituelle grisaille habituelle du ciel. L'on pouvait deviner, avec quelque chance et quelque coup d'œil avisé, le soleil entre deux trouées créées par une bise glaciale, ce globe à la froide lueur blanche. Cela faisait si longtemps que l'astre n'avait pas été chaleureux, tant d'années déjà.
De la pluie gouttant de son avant-toit et venant tremper le sol terreux et sombre, seul le bâtiment de la salle villageoise avait ses fenêtres éclairées, et c'est un bien grand mot pour quelques bougies offrant de vagues halos pathétiques à peine agréables à voir. Absolument tout le village respirait la fatigue et la monotonie, à commencer par son emplacement.
Mussé à l'est contre une haute falaise de pierre grisâtre plantée d'un dense bois de sapins dégoulinants et rachitiques qui tombaient parfois jusque dans l'enceinte du village, le petit hameau d'Aloth, dont le nom figurait sur bien peu de carte et n'était desservi par aucune route pavée, même en gros. Il se trouvait même à une centaine de kilomètres de la Grand'Voie, ce qui en faisait un village bien en retrait et oubliable. La petite centaine d'habitants y vivait en paix et très simplement, peut-être à cause, justement, de leur isolement. Des chaumières en bois de sapin sombre, des avenues de terre battue et deux ressources locales autres que l'agriculture à laquelle tout le monde participait : une forgeronne travaillant le métal et le cuir et une herboriste soignant les villageois.
En ce vendredi, comme chaque vendredi depuis bien des années, toutes les femmes, hommes, filles et garçons du village se tenait sous les avant-toits des bâtisses entourant la place principale, large d'environ une vingtaine de mètres. La pluie tombait en une bruine non pas cinglante mais fatiguée, des nuages d'embruns emportés par une brise faiblarde assombrissant les façades des bâtiments et trempant jusqu'aux os les personnes réunies à un point tel que certains tremblaient.
Il fallait dire pour leur défense que les demeurants se divisaient en deux catégories. Ceux du avant et ceux de l'après. Ceux de l'avant étaient de solides bonshommes et bonnes femmes, aux membres épais et peut-être un peu gras mais musculeux, tannés par le soleil et taillés par le travail, qu'il soit manuel ou domestique, l'un n'enviant pas l'autre. En revanche, les individus étant nés après que le monde ait changé, étaient maigre, car les cultures avaient en partie dépéri, et la peau pâle, les hommes ayant des membres relativement longs pour allant de pair avec une grande taille mais étiques, et les femmes, contrairement à leurs semblables ayant connu l'astre du jour, des seins petits pour une taille haute. Néanmoins, malgré ces aspects significativement différents, la plupart des visages se ressemblaient tous, gris et renfermés, sans expression particulière, sauf pour quelques-uns que l'on devinait venant d'ailleurs, surtout des personne de l'après cela dit.
De plus, tous portaient des frusques solides mais en guenilles : des pantalons de paysan usés et tachés accompagnés de bottes de cuir patiné et crottées. Par ailleurs, leur torse était vêtu d'une tunique de bourre grossière dans un pareil état retenue à la taille par une cordelette fermée grâce à un genre de bout de bois taillé, le seul art ancestral d'Aloth. Le tout, dans une sinistre concordance avec les environs, dans des tons brunâtres et fangeux.
Cette plèbe réunie visiblement de manière pressée, certains tenant encore leur outil de travail, semblait attendre dans la répétition d'une habitude monotone. Il y avait bien quelques murmures dans la langue pauvre et triste des gens de ce genre-là, mais tous parlaient de ce qu'il fallait faire après, de l'inutilité d'attendre, sans pour autant mentionner la chose, comme s'il y avait quelque tabou abscons à son propos. Un proverbe ancien dit bien que nommer une chose la renforce ; aussi ces rustres ont-ils peut-être eu, dans leur glorieuse sagesse paysanne, les prémices de cette pensée complexe et ont adopté cette règle dans les fondements de leurs habitudes.
YOU ARE READING
Voyage de Jadis
FantasiAh, une paire d'yeux. Bonsoir à vous, qui que vous soyez. Je suis le Corbeau. Pour l'instant, je vous déconseille d'interpréter mes paroles. Comme vous pouvez le constater, la véritable histoire débute plus loin. Ou peut-être y êtes-vous déjà ? Qui...