Quand ils sont arrivés à hauteur de notre table, j’ai eu envie de mourir. Elsie et Jérôme avaient l’air désolé pour moi. Seul Dan est resté imperturbable. Il s’est levé et les a immédiatement salués, ce qui a eu pour effet d’arracher un mince sourire à ma mère.
Ma mère a un faible pour Dan. Bien qu’elle ne parle jamais de lui, je sais qu’elle l’apprécie. Quant à mon père, c’est à peine s’il l’avait remarqué : ses yeux étaient braqués sur moi.
— Aleisha, tu vas venir avec nous immédiatement.
La dureté impérieuse avec laquelle mon père avait prononcé cette phrase acheva de gêner la tablée. Autour de nous, tout le monde tendait l’oreille.
Je savais ce qu’ils se disaient, que mon père devait être quelqu’un d’autoritaire, mais ils se trompaient. Les apparences étaient trompeuses.
Le ton de mon père n’avait rien avoir avec une quelconque forme d’autorité, c’était tout simplement la manière dont il parlait lorsque cela concernait nos « affaires » en tant que chasseurs de monstres. Mon père s’adressait à nous comme un général le ferait avec ses troupes. Il ne m’en fallut pas plus pour rassembler mes affaires.
Dan se leva pour me laisser passer. Un silence de mort régnait dans la pièce. Mes oreilles bourdonnaient tellement j’avais honte de me donner ainsi en spectacle devant la moitié des élèves du lycée. Je n’osais pas lever les yeux, mais j’étais sûre que certains devaient être en train de filmer la scène avec leur téléphone.
Je me suis contentée de faire un signe de tête aux autres et j’ai pu lire dans les yeux d’Elsie à quel point elle était navrée pour moi. Mon père et ma mère traversaient déjà le Derby’s en direction de la porte. Alors que je les suivais, les murmures commençaient à s’élever sur mon passage.
Mais si pour mes amis, je savais que l’événement était terminé, pour moi il ne faisait que commencer.
J’ai pris place dans la voiture et, à peine mon père eût-il démarré que les reproches se sont mis à pleuvoir. Ma mère a ouvert les hostilités :
- Aleisha, je croyais qu’on pouvait compter sur toi.
— Je n’ai rien fait de mal, j’étais avec mes amis. Il n’y a pas de quoi en faire un drame.
Elle a soupiré. Je déteste quand elle fait ça, cela me donne l’impression d’être une fillette capricieuse.
— Quand tu sors de la maison, tu dois nous dire où tu vas. C’est la règle.
Je sentais à présent la colère monter en moi.
— Maman, ce n’est pas la fin du monde. J’étais juste au Derby’s. Tous les autres y vont. Vous n’aviez pas à débarquez comme ça.
— Du calme, jeune fille, fit mon père. Sa voix autoritaire me poussa à me tasser sur mon siège.
Toute cette situation était profondément injuste.
— Le problème, reprit ma mère, c’est que nous ne savions même pas que tu étais sortie. D’autant plus que Jennifer m’a dit qu’elle et toi êtes de garde aujourd’hui.
— Il ne se passe jamais rien de toute façon.
Je disais vrai.
C’était l’Ordre qui nous dépêchait nos avis de mission...
... les urgences sont pratiquement inexistantes. Que j’aille ou non au derby’s n’aurait rien changé à la situation.
— Le problème n’est pas qu’il se passe ou non quelque chose, mais que nous devons pouvoir te faire confiance.
— Nous sommes très déçus de ton attitude, ajouta mon père.
— Je n’ai rien fait de mal. Pas besoin de me sortir votre chapitre sur la confiance et toute la déception que je vous inspire.
— Si tu ne souhaites pas qu’on t’en parle, alors ne quittes plus la maison à la nuit tombée sans nous prévenir.
Je décidai de me taire. Quoi que je dirai, ils le tourneront à leur avantage.
Ma mère se tourna vers moi, j’ignorai son regard.
— Chérie, je sais que tout cela peut te sembler injuste, d’autant plus que tes amis sont totalement libres de faire un tas de choses que nous t’interdisons. Mais nous sommes des chasseurs de démons et nous avons des responsabilités. Tu ne peux pas agir à ta guise comme si rien n’avait d’importance.
Je haussai les épaules.
Mon père venait de tourner dans notre rue. D’ici quelques minutes, je pourrai m’échapper de la voiture et oublier jusqu’à cette conversation.
Ils faisaient comme s’ils me comprenaient, mais rien de ce qu’ils disaient n’allait dans mon sens. Ils vivaient sans cesse pour l’Ordre, le devoir et tout ce qui allait avec. Peut-être que cela leur plaisait, mais je n’avait pas choisi tout cela, on me l’avait imposé.
— Qu’est-ce c’est que ça? dit mon père.
Le ton troublé de sa voix me poussa à regarder par-dessus son épaule. D’abord, je ne remarquai rien, puis je vis la petite lampe d’extérieur de notre cabane à outils. Elle était allumée et elle était de couleur rouge.
Je sentis mon estomac se rétracter.
Pour la plupart des gens, il ne s’agissait que d’une lampe allumée. Pour nous, c’était un code. Nous nous en servions lorsque l’un de nous sortait précipitamment et que personne d’autre n’était à la maison. Cela permettait à ceux qui revenaient de savoir immédiatement qu’il se passait quelque chose. Selon la couleur allumée, nous pouvions signaler la raison de notre absence. Bleue pour patrouille, vert pour désordre dans les parages et rouge pour les cas urgents.
Cela ne pouvait donc signifier qu’une seule chose : Jennifer, ma soeur, était partie intervenir sur une urgence... seule.
Dans le monde des chasseurs de démons, se rendre seul en mission est interdit, même lors de simples patrouilles. C’est une question de sécurité.
Et maintenant, ma soeur était quelque part, dehors en pleine nuit, occupée à chasser dieu sait quel monstre tapi dans l’ombre et elle était seule. Seule par ma faute.
En temps normal, un de nos parents aurait pu l’accompagner, même s’ils ne sortaient plus en mission. Mais ils n’avaient pas pu le faire puisqu’ils étaient tous deux sortis... à cause de moi.
J’eus alors un sombre pressentiment.
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Aleisha Grey - Démons intérieurs - Tome 1 - Wattys2019
ParanormalAleisha Grey est une jeune chasseuse de démons. Mais quand sa sœur se fait tuer par sa faute au cours d'une mission, sa vie bascule. Aujourd'hui, elle est confrontée à des visions démoniaques qui l'empêchent de tourner la page et de vivre normalemen...