Clandestins (2) - Renwyck

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Après la prière, Renwyck s'en alla laver la marmite et remplir leurs gourdes à un petit ruisseau qu'il avait repéré non loin. Puis il mit de l'eau à chauffer sur le feu, bien décidé à tenter quelque chose. Depuis son éveil la nuit précédente, il percevait son environnement différemment. Le voile épais qui recouvrait auparavant le monde s'était déchiré. À la périphérie de son esprit, il devinait des forces invisibles dans lesquelles sa mère avait puisé pour confectionner son cataplasme particulier. Akhbar aussi lui apparaissait différemment, comme connecté à un ensemble plus vaste, à un réseau d'énergies tissé au travers de la terre et du ciel. Instinctivement, Renwyck pouvait sentir que le druide était un Magian.

Tandis que la vapeur s'élevait au-dessus de la marmite, Renwyck fouilla dans sa besace. Elle contenait principalement des sachets d'épices et des plantes, ingrédients précieux qui pourraient lui servir pendant son voyage. Un œil profane n'y trouverait sûrement que peu d'intérêt, mais lui savait qu'il transportait là l'équivalent d'une petite fortune. Outre le fruit de ses propres cueillettes, il avait emporté cannelle, muscade, badiane, carvi, safran, poivre et autres produits issus de contrées lointaines qu'il n'avait jamais vues. Il sortit de son sac l'herbier de sa mère.

Il s'agissait d'un carnet plus que d'un véritable livre. La couverture était faite d'un cuir patiné et les pages d'un vélin clair et doux au toucher. Les plantes séchées se suivaient en farandole, accompagnées de leur nom et de quelques annotations : où les trouver, quand les ramasser, qu'en faire... Renwyck reconnaissait par endroits l'écriture soignée de sa mère. La plupart du temps, les lettres ne lui étaient pas familières, sans doute le travail de ses aïeules. Même s'il avait appris à lire aux côtés d'Aiwe, il peinait à déchiffrer ces calligraphies inconnues à la lueur vacillante des flammes.

Enfin, l'eau se mit à bouillir. Renwyck y jeta de l'ortie et de la prèle séchées. Après la journée de marche, cette tisane apaiserait leurs membres endoloris. C'était aussi pour Renwyck l'occasion de s'essayer au Secret. Peut-être pourrait-il renforcer les propriétés de la décoction. Maladroitement, Renwyck tenta de reproduire ses gestes de sa mère. À travers le vide, il sentit quelque chose sous ses doigts, quelque chose émanant des tréfonds de la terre. Il voulut s'en saisir, mais ses mains ne rencontrèrent que l'air froid de la nuit. Il n'y avait rien.

Quel idiot ! Ses joues et ses oreilles étaient brûlantes. Il jeta un regard en coin à Akhbar pour s'assurer que son compagnon ne l'avait pas vu faire. Le druide semblait absorbé dans ses pensées. Renwyck aurait voulu l'interroger sur le Secret. Il lui semblait aujourd'hui qu'il aurait dû en demander bien plus à ce sujet à sa propre mère.

— Akhbar, pourras-tu m'apprendre à toucher la Toile ?

Le druide lui jeta un long regard. Dans l'obscurité, Renwyck ne sut ce qu'il pouvait signifier.

— Nous verrons.

Renwyck n'aima pas son ton. Cette réponse était un « non » déguisé. C'était la réponse que l'on faisait aux enfants pour les faire patienter. Tant pis, il réessayerait seul.

Sans un mot de plus, comme l'avait annoncé Akhbar, ils se couchèrent avec de l'herbe pour oreiller.

*

Les jours suivants suivirent le même modèle. La journée, ils marchaient de longues heures sur la route qui menait au Val de Nacre et à la capitale aelloise. À mesure qu'ils s'en rapprochaient, le paysage changeait doucement. Les plantations viticoles laissèrent place à une alternance de bocages et de bois touffus. Les collines s'espacèrent peu à peu en un long plateau s'étendant jusqu'à l'horizon. La route aussi se transformait. Elle devenait plus large, plus fréquentée.

Ils traversèrent plusieurs villages mais, heureusement, ils ne furent pas témoins de nouvelles persécutions envers la communauté magiane. De façon générale, Renwyck était assez surpris du peu d'intérêt qu'on leur portait. Les étrangers étaient rares à Rivebois. Sur la grand-route qui reliait Vertoult au Château de Nacre, les voyageurs faisaient partie du quotidien.

L'Herboriste - Les Thaumaturges IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant