Clandestins (3) - Tys'Naïa

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L'heure avant l'aube était celle que préférait Tys'Naïa. Cette heure-là n'était pas tout à fait comme les autres. Elle possédait une magie propre, une hésitation entre les ténèbres réconfortantes de la nuit et l'espoir du jour prochain.

Tys'Naïa était souvent parmi les premières personnes levées à Zannen. Elle partait chasser en solitaire avec les rayons naissants du soleil, libre, indépendante. Ce matin-là avait été bien différent. Elle n'avait pas envie de partir. Naarn l'avait gentiment tirée du lit avant de boucler leurs besaces. Ils avaient ensemble retrouvé l'Iwisien à la sortie du village et avaient ainsi débuté leur périple en direction de Kordo. Là-bas, l'étranger pourrait trouver un autre guide et poursuivre sa drôle de chasse au trésor. Tys'Naïa était surtout contente de s'éloigner de ses parents et de Bergys en particulier.

Le temps était clément. La forêt semblait plus calme que d'habitude, comme si ses habitants craignaient une nouvelle compétition de chasse. Les animaux restaient à l'affût, tapis dans les broussailles ou blottis sous les feuillages. Tys'Naïa surveillait du coin de l'œil l'Iwisien. Il marchait devant, en direction du soleil levant, la posture raide. Des crampes ou des tremblements agitaient parfois sa silhouette. Était-ce le résultat des blessures causées par sa traversée de la frontière ? Peut-être avait-il été profondément choqué par les Morts-Vivants. Lui-même semblait vouloir ignorer ces étranges spasmes.

Tys'Naïa se rapprocha de son frère. Elle voulait lui parler de leur rencontre avec les kifolors de la nohte. Quand elle s'adressa à lui, elle le fit d'une voix normale, mais dans son dialecte le plus lourd. Niédar leur jeta un regard curieux par-dessus son épaule, mais retourna vite à sa propre progression entre les arbres.

— Nous devrions peut-être lui reparler des kifo, dit Tys'Naïa. Lui expliquer.

— Je peux essayer.

Tys'Naïa savait qu'elle n'avait pas besoin de prévenir son frère d'être prudent. Elle suivit sa petite foulée pour rattraper elle aussi l'Iwisien. Elle ne savait pas très bien ce qu'elle pensait de leur compagnon, Niédar Elras d'Uvel. Ses motivations n'étaient pas claires. Tys'Naïa n'avait pas eu l'occasion d'en reparler longuement avec son frère. La discussion concernant la tombe de Grachéos avait soulevé plus de questions qu'elle n'en avait résolues. Que Niédar comptait-il faire exactement du trésor de Grachéos qu'il recherchait avec tant de détermination ? Cette question était sans compter celle qui était gravée sur la peau de ce mystérieux Elfe. Tys'Naïa ne connaissait pas la signification de la Marque auparavant, mais son frère lui avait expliqué qu'il s'agissait d'une ancienne peine de justice. Qu'avait-il bien pu faire pour mériter un si grand châtiment ? Tys'Naïa essayait de ne pas le juger à vue et de lui accorder une chance de faire ses preuves et de gagner sa confiance, mais elle préférait rester prudente. Pouvait-on vraiment faire confiance aux gens d'Iwis ?

— Niédar, connais-tu l'histoire de la Nouvelle-Aranée ? commença Naarn d'une voix douce.

Tys'Naïa pouffa. C'était du Naarn tout craché. Niédar fronça les sourcils sans répondre.

— Vois-tu, reprit Naarn sans se formaliser du silence de leur compagnon, il y a tout juste plus d'un siècle, après l'exil d'Aranée - je parle de l'ancienne région d'Iwis - nous avons trouvé refuge ici, en Nouvelle-Aranée. Une nation étrangère a veillé sur notre installation et s'est assurée que nous trouvions paix, sécurité et prospérité.

Niédar avait écouté le court exposé en silence. Il paraissait déconcerté. Comme n'importe quel Elfe de son âge, il avait dû apprendre l'histoire du conflit entre Opewan, capitale d'Iwis, et la province d'Aranée, au nord-est. La discorde était née dans des rivalités économiques et avait escaladé en quelques années. Niédar avait-il appris la véritable raison pour laquelle l'Aranée avait été déclarée région traître à la couronne ? Tys'Naïa ne savait pas à quel point la version iwisienne de l'histoire était fidèle à la réalité. De toute façon, le résultat du conflit avait été radical. La situation avait rapidement empiré, menant à une guerre féroce. Perdants, leur population décimée par la guerre et les persécutions, les Aranéens avaient été forcés de quitter le royaume d'Iwis.

L'Herboriste - Les Thaumaturges IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant