Clandestins (7) - Tys'Naïa

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Istrees se dirigea vers le marché et Tys'Naïa, Naarn et Niédar la suivirent sans discuter. Près de la halle, l'animation battait son plein. Les commerçants vantaient à pleine voix les mérites de leurs marchandises. On négociait, on échangeait les nouvelles. Les effluves d'épices et de viandes rôties embaumaient l'air chatoyant du midi. Les pièces scintillaient et cliquetaient en changeant de mains. Des enfants couraient en piaillant entre les étals de légumes, les paniers d'osier et les étoffes bigarrées.

Ils retrouvèrent là une servante d'Istrees chargée de lourds paniers remplis des achats du matin. Évidemment, Istrees se déplaçait au marché pour se faire voir en public, mais elle ne portait pas elle-même ses propres courses. Tys'Naïa nota que la servante lui était inconnue. Il s'agissait d'une jeune fille de quinze ou seize ans, au long cou et aux yeux très noirs qui jetaient régulièrement des petits regards furtifs vers Naarn. Istrees avait-elle agrandi sa maisonnée ou avait-elle de nouveau renvoyé son employée ?

Quelques minutes plus tard, ils se trouvèrent devant la demeure d'Istrees. Le contraste avec la vie à Zannen était saisissant. Tys'Naïa s'émerveillait toujours à l'idée que sa mère eût pu vivre dans un aussi petit village que le sien. Elle avait dû être très amoureuse. Très jeune et très sotte.

La maison ne donnait pas directement sur la rue. On entrait par un large porche où un jeune garçon faisait office de portier. S'étendait alors une cour de terre battue avec un puits, des latrines et tout au fond, une haute maison à étage. Des hortensias poussaient au pied des marches qui menaient à la porte d'entrée. Tys'Naïa savaient qu'à l'été, ils seraient recouverts de grosses inflorescences. Près du puits, un cerisier était en fleurs. D'un souffle léger, une brise de printemps fit virevolter les pétales des fleurs au son discret du bruissement des feuilles.

Leur arrivée provoqua une agitation nouvelle dans toute la maisonnée. La cuisinière et les servantes s'activèrent en panique sous les ordres exigeants d'Istrees. Bientôt, le déjeuner leur fut servi, constitué de légumes et de racines cuits à l'eau, de courges rôties, de volaille aux épices, de pain et de graines de sarrasin bouillies. Malgré les piments, la viande semblait fade en bouche en comparaison du gibier auquel Tys'Naïa était habituée.

Niédar mangeait en silence, le visage fermé, tandis qu'Istrees conversait avec son fils :

— Naarn, mon fils, qu'as-tu à me raconter ? J'ai perdu espoir pour ta sœur, mais toi ? Le fils du potier ?

Naarn haussa les épaules, fataliste.

— Ça n'a pas fonctionné.

Tys'Naïa admirait son frère pour la décontraction dont il faisait preuve avec leur mère, surtout quand celle-ci se mêlait de leur vie sentimentale. Le regard d'Istrees se posa sur elle. Sa mère allait à nouveau la traiter de vieille fille. À raison. Elle le sentait. Ses poings se serrèrent par anticipation, mais Naarn vola à son secours :

—Pourquoi les villageois nous ont-ils accueillis de la sorte ? demanda-t-il. Je sens une tension atypique en ville qui n'existait pas lors de notre dernière visite.

— C'est à cause des kifo, répondit Istrees sans hésitation.

Niédar se redressa sur sa chaise de façon quasi-imperceptible, visiblement mal à l'aise. Il avait donc retenu la signification de ce mot.

— Des kifo ? la pressa Naarn, voyant qu'elle ne continuait pas plus.

— Oui, des kifo je te dis. Es-tu donc sourd, toi ? Ça t'amuse peut-être de me faire répéter tout ce que je dis comme ça ?

Tys'Naïa sentit qu'il était temps pour elle d'intervenir dans la conversation, avant qu'elle ne perdît patience. Les choses ne se terminaient jamais très bien lorsqu'elle perdait patience avec Istrees.

L'Herboriste - Les Thaumaturges IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant