L'amour n'a pas de genre

Salle 118

Lorsqu'il entra dans la salle, il m'adressa un coup d'œil complice, déjà deux semaines que nous étions ensemble en pleine illégalité mais comme on dit ; vivons heureux, vivons cachés. Oui Noa est mon élève mais il a dix-neuf ans et je n'en ai que vingt-trois alors on peut dire que je ne suis pas dans le détournement de mineur, c'est déjà ça. Noa est beau avec ses légères bouclettes brunes et sa peau pâle faisant ainsi ressortir les tâches de rousseur qui constellent ses joues tel les étoiles décorent la nuit. J'adore également son regard pétillant mais ce que je préfère chez lui est son caractère déterminé à avoir ce qu'il veut, toujours en train de foncer non sans oublier de réfléchir avant.

- Bonjour, aujourd'hui on va s'attaquer à notre nouveau sujet ; un grand classique, la compréhension du livre « Madame de Bovary » de Flaubert. J'entendis déjà quelques soupirs dans l'amphithéâtre, c'est vrai que ce livre est compliqué et bourré de sous entendus et d'entre lignes à décrypter mais c'est tellement passionnant lorsque l'on prend le temps d'apprécier ! Vous avez donc dû le lire durant cette semaine et je vais commencer par vous poser quelques questions avant de vous distribuer le questionnaire de compréhension de lecture !

Je m'assis sur le coin du bureau en bas de l'amphithéâtre attendant sagement qu'ils sortent leurs livres et matériel, je soupirai en découvrant que quelques un avaient déjà perdu le fil et naviguaient sur leur portable alors que nous n'avions même pas commencé. Noa, lui, accompagné de ses trois célèbres amis, avait sortit un cahier de notes et attendait en silence tout en m'observant, nos regards se croisèrent et il sourit en coin, je dus serrer les lèvres pour ne pas lui sourire en retour, ce serait beaucoup trop suspect.

- Alors, commençons doucement... dans le livre un personnage est beaucoup moins mis en avant et pourtant il est très travaillé par l'auteur, je parle bien sûr de Monsieur Lheureux. Pour vous, quel rôle l'auteur veut-il lui faire jouer ?

Plusieurs mains se levèrent mais personne ne tomba sur la bonne réponse. On eut droit à des idées complètement rocambolesques ; de pauvreté illustrée à travers un marchand, d'un meurtrier déguisé ou encore de richesse dissimulée. Aucune n'est véridique. Quand la main de Noa se leva, je l'interrogeai.

- Je vois Monsieur Lheureux comme représentatif du diable, il est manipulateur et tentateur. Il fait tout pour la faire consommer jusqu'à sa perte et est donc la cause de sa déchéance financière qui la mènera jusqu'à se donner la mort. J'hochai la tête, petit sourire en coin.

- Je n'aurais pas dit mieux, très bien. Pour une deuxième question j'aimerais que vous vous penchiez un peu plus sur l'expression d'Emma...

Les trois heures de cours passèrent extrêmement vite d'une telle façon que je n'eus même pas le temps de finir mon programme du jour et c'est donc avec un arrière goût de frustration que je sortis de la classe pour rejoindre ma salle secondaire, la salle 118. Celle qui ne contient qu'une vingtaine de bureaux afin que chaque professeur puisse accueillir les élèves en difficulté ou désireux de s'améliorer dans leur matière principale. À vrai dire je ne suis qu'un remplaçant encore à l'université et je profite souvent de cette heure afin d'avancer mon mémoire. Mais ce jour-là la salle n'était pas vide, deux élèves étaient déjà assis au premier rang, leurs cahiers et livres étalés et ouverts devant eux.

- Bonsoir, excusez moi du léger retard, vous avez déjà des questions ? Je déposai mon sac à côté du bureau et commençai à vider mes affaires. Lorsque je m'assis enfin et levai les yeux vers les deux élèves je remarquai avec étonnement Noa et son grand ami Maxime, le stéréotype même du sportif a une différence près, il est loin d'être un grand benêt.