Chapitre 1

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Le jeune homme s'avança le long de l'éperon rocheux. Il éprouvait une joie farouche à se mettre ainsi en danger, à se déplacer sur la crête d'une falaise, au risque de perdre l'équilibre et de tomber jusqu'à s'écraser sur les rochers plusieurs mètres plus bas. Et une partie de lui murmurait qu'il pourrait très bien forcer un peu les choses, faire un pas un peu maladroit, marcher volontairement sur une pierre à l'aspect friable, juste pour voir ce qu'il se passerait, juste pour voir si quelque chose se passerait.

Ce n'était pas un penchant suicidaire, pas même inconscient. Simplement une curiosité à la limite du malsain. Il voulait savoir ce que ferait son père, s'il se trouvait en danger de mort, il voulait le constater de ses propres yeux.

Un caillou couvert de mousse lui fit de l'œil juste un peu sur la pente. Il soupira. Il savait très bien ce que son père ferait s'il se laissait aller à poser le pied dessus. Rien du tout. Comme s'il en avait quelque chose à foutre de la mort d'un de ses enfants.

Il était arrivé au bout de la pointe, qui s'abaissait légèrement avant de brusquement s'arrêter, et devant lui s'étendait la mer. Il pouvait apercevoir des ruines sur un îlot un peu plus loin. Puis l'océan.

Il s'assit et fixa l'horizon sans le voir. Le jour commençait à s'assombrir et le ciel, désespérément bleu, perdait un peu de son éclat. Au pied de la falaise les vagues léchaient les rochers presque nonchalamment. Il contempla la pierre dont il était entouré, chichement couverte d'herbe et de végétation basse, pelée par endroits, acérée parfois. Un vent léger passait dans ses cheveux et rafraichissait ce soir de fin d'été.

La Bretagne. Dans le fond, ici ou ailleurs, ça ne faisait pas une grande différence pour lui. Ce n'est pas comme s'il était attaché à la ville de sa naissance. Il n'avait même pas d'amis à perdre. C'est juste qu'il aurait aimé...au moins être averti du projet. Mais depuis quelques mois il ne faisait plus vraiment partie de cette famille, alors à quoi bon lui demander son avis ?

Il soupira encore. Son père... celui qu'il croyait être son père avant ne le regardait même plus en face depuis que la vérité s'était imposée à eux sous la forme d'une chimère qui avait bien failli le tuer. Dans la panique de l'attaque il avait sans comprendre comment réussi à électrocuter le monstre. Et c'est comme ça qu'il avait tout découvert. Que les dieux grecs, et tout le bestiaire associé, existaient. Que sa famille était un mensonge. Qu'il était le fils de Zeus. Rien moins que ça. Il laissa échapper un rire amer.

Il avait passé l'été dans une caricature de colonie de vacances qui se faisait appeler « Camp Half Blood», colonie des Sang-Mêlé, il avait rencontré tout un tas de bâtards du même genre que lui, il avait appris le grec ancien – la première fois qu'il pouvait lire quelque chose correctement – et à se battre à l'épée, on lui avait expliqué que si les mortels ignoraient tout du pot-aux-roses c'était grâce à la Brume, ce phénomène qui permet de soustraire certains éléments à leur vue, comme l'œil unique d'un cyclope ou le putain de corps de cheval d'un centaure... Mais ce qu'il ne comprenait pas, c'était comment ils pouvaient tous accepter si facilement les choses. Il était né juste parce qu'un enfoiré de dieu était incapable de contrôler sa libido, merde ! Alors pourquoi était-il le seul à... à... à vouloir foutre le feu à l'Olympe et défoncer la gueule de son tout-puissant père ?

Il en voulait à sa mère aussi, d'avoir agi comme elle l'avait fait. Et à son p... à l'homme qui l'avait élevé, de le regarder comme une créature monstrueuse.

Mais se lamenter sur lui-même ne rendrait pas les choses plus faciles. Après tout, ses parents ne s'étaient pas séparés. Alors peut-être que les choses redeviendraient, disons à peu près normales dans sa vie aussi. Mais il savait bien qu'il se mentait à lui-même. Il ne croyait pas une seule seconde que celui qu'il considérait comme son père il n'y a pas trois mois ne le regarde à nouveau comme son fils un jour.

Le Vent de l'HiverWhere stories live. Discover now