Our Last Moments

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Nager.

Combattre les remous, le courant, l'eau, le froid et l'épuisement.

Respirer.

Forcer ses poumons à fonctionner encore un peu, lui maintenir la tête hors de l'eau, vérifier le battement de son cœur.

S'agripper.

Empoigner la racine dépassant de la berge humide avec la force du désespoir, ne pas lâcher malgré la douleur lancinante. Le hisser sur la terre ferme et s'échouer à ses côtés.

Hanji ne voyait plus ni le ciel ni la terre, ni même l'eau. Sa vision limitée par la perte de son œil gauche se teintait de rouge. Cette maudite couleur était partout. Sur ses mains et ses vêtements, sur ses lunettes et sur son corps. Le visage de Livaï en était recouvert, ses bras et sa chemise aussi. Progressivement, l'herbe verte commençait également à roussir sous leurs corps épuisés.

« Non... Non, non, non ! »

Malgré ses muscles qui criaient grâce et ses blessures hurlant leur mécontentement quant à ses mouvements trop brusques, la scientifique réussit à se redresser sur les genoux, et à se traîner jusqu'au Caporal inerte. Son œil droit, l'entièreté de sa joue ainsi que sa lèvre saignaient abondamment, lacérés par une profonde entaille à vif. L'autre côté du visage était à peu près épargné, si on oubliait les morceaux de bois plantés dans la pommette. Et les marques de l'explosion, partout sur son corps. Et ce sang, son sang, qui ne cessait de couler, encore et encore, se mêlant sans discontinuer aux eaux de la rivière, comme avalé par elles.

Hanji vit alors toutes les immondices que charriaient ce cour d'eau, les impuretés qui filaient dans l'onde au rythme du courant. Elle regarda leurs hémoglobines mélangées glisser jusque dans les remous, s'y faufiler, les colorer de ce rouge maudit, puis s'y noyer. Cette eau n'était pas propre, pleine de bactéries. Leurs blessures allaient probablement s'infecter. Leurs blessures étaient déjà infectées.

Livaï ouvrit un œil. Le seul qui lui restait. Ce regard anthracite toujours si dur, inexpressif et intransigeant, se voilait déjà un peu, et il le savait. Il le sentait, au plus profond de sa chair et de ses os. Loin d'être stupide, le Caporal leva une main ensanglantée, faiblement, jusqu'à la cape d'Hanji, qui fixait l'eau avec une pupille vide. Inerte, le Major tourna vers lui un visage crispé sous la douleur et tenta un sourire, à travers ses larmes. Elle ne semblait pas sentir ses propres pleurs, pas plus qu'elle ne sentait vraiment la main de Livaï sur son bras.

Elle était loin, perdue, dans les brumes hasardeuses de quelques sombres pensées. Errant dans d'heureux souvenirs ou de tristes réminiscences. L'homme aux court cheveux noirs le savait, le lisait sur son visage mieux que si elle avait parlé. Hanji voyait leur vie, se rappelait leurs amis. Les morts d'êtres chers. Les sacrifices. Tant de douleurs, tant de peines, tant de privations, tant de traumatismes, tant de lésions, plus qu'il n'était possible d'en compter.

« Pour quoi ? »

s'interrogeaient-ils en choeur. A quoi ces années de vies consacrées à la survie de l'espèce humaine telle qu'ils la voyaient alors avaient-elles servi ? Quelle utilité y'avait il à être le « plus fort » et la « plus intelligente » de l'humanité, si c'était pour voir tant de vies prendre fin devant leurs yeux, et pour crever la gueule dans la boue ?

When all of our friends are dead and just a memory

We'll lie side by side; it's always been just you and me

For all to see...

— Binoclarde... Quat'z'yeux... Hanji ! Appela t-il, moins fermement qu'il ne l'aurait souhaité, mais sa voix commençait à le trahir et il n'y pouvait rien.

Elle voulut répondre, mais ses yeux se voilèrent un bref instant, et elle tangua dangereusement entre lucidité et inconscience, rêve et réalité, position assise et allongée, avant de chuter suite à un vertige particulièrement puissant. Le sang perlait au coin de ses lèvres, mais ce satané sourire ne s'ôtait pas. Si la partie droite de son visage n'avait pas été si meurtrie et ses forces si déclinantes, Livaï aurait grimacé avant de la secouer. Pourquoi, en ce moment précis, à cet instant exact, et à travers les larmes, ses lèvres ne voulaient elles pas juste accepter la tristesse de leur situation, et le pathétique de la chose ?

— Pourquoi tu souris, espèce de foldingue ? On est en train d'agoniser, ne put-il se retenir de lui faire remarquer, presque effrayé par ces réactions si étranges qu'elle avait toujours eu face au danger.

Il ne comprenait pas. La mort ne l'effrayait pas tant que ça, il l'avait tant de fois vue à l'oeuvre qu'il pouvait presque la considérer comme une vieille amie. Mais malgré sa volonté d'enfin se reposer, de lâcher ce monde de merde et les responsabilités qu'il avait en son sein, savoir qu'Hanji le suivait dans sa chute lui était intolérable. Aussi insupportable qu'apaisant. Troublante sensation. Après tout ces coups de feu qui causaient la mort de la scientifique, elle les avait reçus en tentant de le sauver.

— Je souris parce que nous allons revoir tout le monde, et parce que je suis avec toi. Je... Suis heureuse de mourir ainsi, à tes côtés, répondit enfin le Major après quelques instants d'hésitation, ou de perte de conscience.

Livaï avait la tête tournée vers elle, et le regard planté en plein dans le sien, malgré le fait qu'ils soient tous deux borgnes, et il savait qu'Hanji lisait en lui comme personne. Elle était aux premières loges pour observer l'étendue de sa surprise suite aux paroles prononcées.

Ca ne le frappa réellement qu'en cet instant. Ils étaient en train de crever, véritablement, pour de bon. Dans une heure au grand maximum, ils ne seraient plus. Tous les deux. Ensemble. Morts, froids et inutiles. Et Hanji pleurait. Elle avait peur, comme tout Homme en ses derniers instants.

When our lives are over

And all that remains

Are our skulls and bones

Let's take it to the grave

Livaï avait de moins en moins mal, et il savait que c'était un mauvais signe. Les yeux de la femme à ses côtés se teintaient progressivement d'une lueur lointaine, absente, mais sans chasser cette sorte de joie résignée à enfin partir. Il ne voulait pas, il ne pouvait pas, la voir mourir. Et pourtant, sous ses yeux son pire cauchemar se réalisait, alors que le monde dansait et se teintait de rouge. Le Caporal ne sentait presque plus rien, et Hanji ne souffrait pas. Elle le regardait en silence, souriant toujours, alors que leurs regards liés depuis le début se faisaient plus flous.

Effrayé à l'idée de ne plus la voir, et sentant plus que jamais le froid envahir son corps, Livaï rassembla ses dernières forces :

— Hanji. Donne-moi ta main, demanda t-il en la saisissant déjà.

Allongés sur le côté, les doigts liés, les yeux dans le vide, ils partaient chacun progressivement, dans le silence et sans un cri. Sans se rebeller, acceptant juste la situation. Accrochés l'un à l'autre comme à une bouée. Se soutenant mutuellement à travers le pire, une dernière fois. Ensemble, encore et toujours.

— On se revoit bientôt, souffla Livaï, un semblant de sourire aux lèvres.

And hold me in your arms, hold me in your arms

I'll be buried here with you

And I'll hold in these hands

All that remains


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