Chapitre 1 - Le départ

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Le Victoria se dressait fièrement dans le port de Londres. Tanguant légèrement à cause de la mer houleuse, il se distinguait des autres navires par ses hauts mâts, sa coque vernie, ses détails en or, sa prestance. Il y avait bien quelques autres navires de qualité, mais celui-ci était spécial. En effet, il appartenait à l'homme le plus influent d'Angleterre: Joseph, Alfonse, William Allister. Plus communément appelé Joseph Allister. Son nom seul faisait trembler les hommes d'épouvante, et les femmes de désir. Il était puissant, riche, intelligent, et très séduisant. 

Charles observait le galion, assis sur un trottoir. Peu élégant pour un gentleman, mais la nuit avait été longue, et il ne tenait pas aussi bien la fatigue que son frère. De plus, ce dernier avait un intérêt à rester éveillé, à savoir les filles de marins qui, plus que dire au revoir à leurs pères, venaient minauder auprès du jeune homme. Mais Charles, lui, bien qu'il attirait l'oeil, ne s'en préoccupait pas le moins du monde. Il pouvait bien se reposer un petit instant. Rien qu'un petit instant. 

"-Eh bien mon frère, la nuit a été éprouvante?"

Charles jeta un regard agacé à son interlocuteur. 

"-Vois-tu Henri, pendant que tu t'occupais des femmes dans la salle de réception, je m'occupais de choses beaucoup plus incommodantes, comme la vérification des vivres, des cartes, l'heure de départ et d'arrivée, et des rendez-vous lorsque nous serons rentrés, puisque tu ne t'en serais pas chargé.

-Voyons mon frère, dit-il en riant, je ne vois rien de plus incommodant que les femmes!"

A ces mots, il se tourna vers un aggroupement de jeunes filles qui le regardaient d'une manière peu convenable. 

"-Ah les femmes, soupira t-il. Elles sont fascinantes. Oh, voilà Sir Fenley. Hâtons-nous!"

Henri rejoignit l'homme à l'imposante moustache, le saluant d'une tape sur l'épaule. Sir Fenley était lui-même imposant, petit, et manquait cruellement de cheveux sur le haut de son crâne. C'était un homme sans réelle autorité. Sa femme et ses enfants le menaient à la baguette. Cependant, il dirigeait les marins avec une main de fer, et bien que tout le monde se demandait comment il s'y était pris, c'était un homme très haut placé, et également un bon ami de leur père. 

Charles se leva à contre-coeur, et salua d'une légère révérence Sir Fenley. Il n'était pas aussi familier que son frère. 

"-Mon petit Charles, nous parlions justement de toi. Comment te sens-tu? C'est un grand jour n'est-ce pas? 

-Je suis impatient d'arriver en Amérique, répondit celui-ci avec un sourire poli. Je compte sur vous pour nous y mener en toute sécurité.

-Bien entendu, vous pouvez compter sur moi! Bon, il est bientôt l'heure.".  

Déjà les marins s'activaient sur le galion, et embrassaient leurs femmes. Beaucoup de personnes étaient réunies devant le Victoria, conscientes qu'aujourd'hui était un jour peu commun, et qu'elles auraient peut-être l'occasion de sympathiser avec la famille Allister. Nul ne voulait manquer une occasion  de se faire bien voir de la haute.

Henri, accompagné de Sir Fenley, se dirigea vers le Victoria, faisant s'écarter la foule comme Moïse aurait écarté la mer, et attendit que Charles les rejoignent pour commencer.

"-Chers citoyens de Londres, vous assistez aujourd'hui au premier voyage du Victoria, le plus beau bateau d'Angleterre, mais aussi le plus rapide!" clama Henri en écartant les bras.

Il avait toujours eu un côté dramatique. La foule s'était tue et buvait ses paroles. Surtout les femmes. 

"-Mon frère et moi partons aujourd'hui pour l'Amérique, ce merveilleux continent plein de ressources. Père nous a toujours dis que la culture était la plus grande des forces, dit-il en regardant Charles.  Nous partons en paix, découvrir de nouvelles cultures, assouvir notre désir d'aventure. Nous en reviendrons donc plus forts, et honorerons avec fierté la famille Allister. Aussi, quand nous rentrerons, j'ose espérer un accueil chaleureux de votre part!"

Un tonnerre d'applaudissements retentit, que Henri calma d'un mouvement de main.

"-Mais aussi, durant ce voyage, mon frère tiendra un journal, et en copiera trois exemplaires qui seront mis à la vente dès notre retour. Ce sont des pièces précieuses qui sauront vous ravir j'en suis persuadé. Nous les mettrons en vente lors d'une vente aux enchères dans notre propre demeure. Bien évidemment, tout le monde est invité. Ces journaux reviendront aux plus offrants!"

Henri frappa dans ses mains comme la foule commençait à s'agiter.

"-Sur ce, il est l'heure. Je vous remercie de votre présence, nous nous reverrons ici dans six mois!"

Il fit une révérence, plus pour les femmes qui pleuraient son départ que pour le public tout entier, et découpa avec des ciseaux en or le ruban rouge qui empêchait d'atteindre le galion. Il monta sous les cris et les applaudissements, suivi de Charles et de Sir Fenley.

"-C'était un très beau discours que tu as fais là Henri. Tu es le digne enfant de ta mère! le complimenta Sir Fenley.

-Oh vous savez, nous sommes de grand orateurs depuis des générations, je ne fais que profiter d'un talent déjà présent dans mon sang. Et puis mon frère est bien meilleur orateur que moi. N'est-ce pas mon frère? 

-Sans fausse modestie, oui."

Henri tiqua, et continua d'avancer jusqu'à atteindre le pont principal. La rampe se ferma, les marins s'activèrent, et le Victoria s'élança en pleine mer, direction l'Amérique. 

Les deux frères rejoignirent très bientôt leurs cabines respectives, toutes deux décorées selon leurs goûts. Charles, qui préférait les choses simples, avait un mobilier luxueux mais nécessaire. La cabine était spacieuse, et ils avaient pu y mettre un bureau, une chaise, et un lit. Il y avait également, dans ces cabines, une place pour la toilette, séparée du reste. Charles se sentait relativement bien, entouré de cette tapisserie neutre et de meubles en bois. Il savait aussi que son frère avait une cabine bien plus luxueuse, tapissée de motifs colorés, de mobilier incrusté, d'objets décoratifs tout à fait inutiles. Son frère avait toujours eu le goût des choses futiles. 

Exténué, Charles enleva son veston et ses bottes, et s'allongea sur son lit. La mer le berçait doucement, et il peinait à lutter contre le sommeil. Après tout, il pouvait bien se reposer un peu. Le voyage serait long et il aurait tout le temps de s'occuper des affaires qui l'attendaient à Londres. Mais il avait si peu l'habitude de prendre du temps pour lui qu'il ne pourrait sûrement pas s'endormir de sitôt. 

Il était peu commun de voir un jeune homme de seize ans s'occuper d'affaires politiques et financières, même dans une famille noble. On avait confié à Charles des responsabilités très lourdes dès son plus jeune âge. Il savait que cela témoignait la confiance que son père avait en lui, et il en était honoré , mais il savait également que sa famille ne tolèrerait aucune erreur. Il se devait d'être parfait, en toutes circonstances. Car si Henri représentait le côté luxueux de la noblesse, Charles se devait de représenter la puissance. Oui, il était puissant. Il écrasait toutes les autres familles d'Angleterre. Il régnait sur le continent. Il ne cèderait pas sa place. 

A cette pensée, il se remit sur pieds et s'installa à son bureau. 

Il n'avait pas de temps à perdre.  



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⏰ Last updated: Jul 02, 2019 ⏰

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Petite LouveWhere stories live. Discover now