Même Paul et Léonard rêvent d'amour

Chapitre IX.

PAUL

On se découvre peu à peu, je ne pensais pas m'ouvrir comme ça à quelqu'un un jour, encore moins à lui.
Depuis qu'il m'a embrassé, les choses ont subitement changées. Je suis plus tactile avec lui, le prenant dans mes bras chaque jour pour lui dire au revoir. M'ouvrant un peu plus, lui dévoilant davantage mes sentiments. C'est compliqué pour moi, mais j'essaye de faire comme je peux. Ce baiser était une erreur. Si l'un d'entre nous avait ressenti quelque chose, notre relation aurait évoluée. Nous ne serions plus de simples amis. En dehors de Lena, Arthur, Nyela et Talita, personne ne sait que l'on se parle. Nous restons discrets, on ne se parle pas dans les couloirs ni en classe. Je redeviens ce garçon froid qu'il a connu au début. J'ai failli l'embrasser hier après son entraînement. Pour voir ce que ça me ferait, ce que je pourrais ressentir. Afin d'être sûr. Mais je me suis ravisé. Ce baiser était un malentendu, il sortait sûrement avec une fille. Et moi, je pensais encore sincèrement pouvoir récupérer Zélia.
"Sois tu te devoiles un peu sois c'est fini nous deux" et elle était partie. Se rhabillant. Quittant ma chambre en soutien gorge, sans pudeur. Elle aurait très bien pu tomber sur quelqu'un de ma famille. Elle avait refermée sa jupe en même temps qu'elle avait descendue l'escalier à toute vitesse. La porte d'entrée avait claquée elle avait disparue, et je n'avais pas cherché à la rattraper. J'ai toujours cru qu'elle reviendrait. Et jusqu'à maintenant je n'ai reçu qu'un unique message "Tu traines avec le Naour? Ne deviens pas comme lui s'il te plaît. Z."
Ça m'avait touché. Et comme moi elle se trompait sur Léonard.
Tout le monde a une drôle d'image de lui. C'est le garçon cool du lycée, qui est un an plus vieux, qui a redoublé je ne sais quelle classe, qui fait des conneries pour faire rire les autres. Et malgré ça, il est encore catégorisé. On le pense égoïste, malhonnête, ambitieux et prêt à tout pour avoir ce qu'il veut. Que c'est juste un gars avec des mauvaises notes et qui ne fait rien pour arranger les choses parce qu'il se fout de son avenir.
La vérité est tout autre. Léonard est un garçon tout à fait cool. Mais il n'est pas égoïste ni malhonnête. Il est juste incompris. Trop vite catégorisé. Comme toutes les personnes de ce vaste univers. Et moi aussi je l'ai jugé trop vite.
Ce soir, je lui ai dis que je ne savais pas si je viendrais à son entraînement. Il me semble que j'ai besoin de prendre du recul avec lui. Avec nous. Parce que je sais pas si le je et le lui forme un nous. Tout est si flou depuis ce premier baiser. Tout est si étrange et compliqué depuis ma crise de nerfs.
Je ne suis pas sûr d'être gay. Bien qu'en soirée on me l'a déjà demandé. À l'époque, je sortais avec Zélia, on est quand même sortis ensemble pendant huit mois. C'était ma plus longue relation jusqu'à ce jour. Et elle m'avait embrassé à pleine bouche sans aucune gêne en lui criant dessus "tu as toujours l'impression qu'il est gay connard? A moins que tu veuilles vérifier si j'ai bien des nibards!"
Zélia et moi c'était toujours trop. On s'enflammait trop vite. Et on était trop différents. Elle m'en voulait toujours de ne pas m'ouvrir à elle et de ne rien lui confier. En fait, c'était surtout parce que je n'ai rien à confier. Ma vie a toujours été très plate, autant qu'une ligne de vie qui vient de s'arrêter.

-Tu disparais encore ce soir?
-Non pas ce soir
-Pourquoi tu ne me dis pas où tu vas? Boude la blonde assise à côté de moi
-Je me balade juste pour essayer d'arranger mon esprit
-Qu'est ce qui va pas?
-Je me sens perdu Esther
-Pourquoi?
-Je... Non laisse tomber

Elle a compris que je n'en dirais pas plus, les informations qu'elle a réussi à obtenir sont déjà énormes.
En cours de français, Léonard m'a longuement regardé écrire.

-Écris imbécile tu vas perdre le fil
-Tu m'aideras à le rattraper
-Certainement pas!
-Tu dis ça mais je sais que tu le feras. On ne résiste pas à mon sourire
-C'est vrai quand on sourit on sent ta mauvaise haleine
-C'est pas ce que tu disais quand...

Et il s'est arrêté là. Ses yeux se sont ternis et il a serré les points sur sa table. Il a donc commencé à écrire. Son stylo plume dans la main gauche. Je savais ce qu'il voulait dire. J'avais eu des frissons rien qu'en y repensant. Je ne dois pas laisser Léonard m'atteindre. Ce serait trop dangereux. Je ne veux pas être un de ses défis. Je ne veux pas me dévoiler à lui. Et pourtant c'est déjà trop tard.

-Viens à l'entraînement ce soir
-Non.
-S'il te plaît Paul
-Non espèce de...
-Connard oui je sais. Viens. Ce sera le dernier. Après on rompt tout contact. On ne se parle plus jamais
-Ok. On arrête de se parler après la soirée d'Esther

Il sourit victorieux. Comme un gosse devant le sapin de Noël un 25 décembre en découvrant les cadeaux qui l'attendent sous le sapin.
Alors ce soir là, j'y suis retourné. Je me suis assis dans les gradins comme d'habitude. Pas devant, au milieu. Ça me permettait d'être seul dans cet endroit qui m'etouffait.
Lorsqu'il est sorti de l'eau après deux heures d'entraînement, je l'ai rejoins comme d'habitude.

Une flaque d'eau sur l'avant dernière marche des gradins me fait perdre l'équilibre. Je ne vois rien pour me retenir et je me vois déjà paraplégique dans un fauteuil roulant si je tombe le dos sur les marches. Léo le cascadeur parvient à me rattraper. Et nous glissons tous les deux sur le sol de la piscine. Son corps mouillé contre le mien. Mes lèvres sur les siennes. Un accident. Une seconde erreur mais pour le coup non anticipée. Il se recule aussi vite que moi. Comme si nous nous étions brûlés. Je lui lance un signe de tête avant de partir, les mains dans les poches, silencieux, sans un autre regard dans la direction de Léonard. Il est temps que tout ça se termine. Léonard est presque sur le point de me faire ressentir quelque chose. Sur le trajet du retour, je ne cesse de cogiter. Je ne sais vraiment plus quoi penser. Ce n'est qu'un malentendu. Une série de malentendus qui ne doivent pas nous atteindre.

-Lena? Tu es déjà tombé amoureuse?
-D'arthur. Pourquoi?
-Comment tu as su?
-Les choses se font progressivement Paul. Mais pourquoi tu veux sortir avec une fille? Attends toi là t'es amoureux! C'est qui?! Je la connais?
-Et progressivement genre à force d'être ensemble?
-En gros ouais. Alors c'est qui?
-Ta gueule Lena. Et merci pour tes réponses.

Je me suis enfermé dans ma chambre. J'ai ruminé toute la nuit. Qui était vraiment Léonard pour moi? Et moi, qu'est ce que je ressentais vraiment pour lui?