Jari était seul au studio. Comme souvent, il était arrivé tôt dans l'idée de s'échauffer. Il appréciait toujours ces moments de calme et de solitude où il pouvait se détendre. Puisque le jeune homme dormait peu, il avait tout le loisir de profiter de ces matinées.
Ainsi, ce matin du 2 novembre, il s'était levé, avait pris une douche chaude et s'était habillé avant de partir pour le studio. Machinalement, il avait laissé son chien chez lui, pensant qu'il le promènerait à son retour, dans l'après-midi, et marché jusqu'au bâtiment où, lui et le groupe de musique auquel il appartenait venaient jouer. A son arrivé, le brun n'avait pas vraiment regardé la salle de musique et s'était immédiatement installé en salle de pause, laissant glisser son sac à dos au pied d'un mur et déposant son manteau sur le dossier d'une chaise. L'endroit n'était pas très grand, mais disposait d'une table, de chaises, d'un canapé et d'un comptoir que les musiciens avaient choisi comme garde manger. Jari se frotta les mains l'une contre l'autre pour les réchauffer du froid finlandais habituel. Il s'approcha du comptoir, sortit une tasse de l'un des placards et entreprit de se faire couler un café serré auquel il ajouta un sucre. Il n'a jamais aimé le café trop amer.
En s'asseyant pour boire, Jari songea que la journée risquait d'être épuisante, il n'aurait aucun répit en ce jour si spécial. Un sourire passa sur son visage mais disparut presque instantanément, remplacé par un air soudainement mélancolique. Le jeune homme ferma les yeux et soupira avant de porter la tasse à ses lèvres et d'avaler une grande gorgée de café. Cette année, il passerait une bonne journée. Du moins, il voulait essayer, et n'avait pas l'intention de se laisser abattre par ses tristes songes. Le brun se leva et récupéra son sac dont il tira deux baguettes en bois clair. Dans ce geste, un morceau de papier épais et vieilli tomba de son sac. Il était plié en deux mais on y apercevait quelque chose d'écrit à l'encre noire. Jari se pencha et le ramassa délicatement, sans le déplier. Il marqua un temps d'arrêt avant de le ranger doucement dans la poche de son jean. Il passa de nouveau près de la table et termina sa boisson rapidement.
Il faisait déjà jour. Jari jeta un coup d'œil à sa montre qui indiquait 8h15. Ses amis ne seraient pas là avant 9h30 et il avait le temps de profiter un peu du studio. Aussi, il retourna dans la salle de musique et s'arrêta subitement. Ses yeux venaient de se poser sur une guitare électrique d'un rouge éclatant qui reposait près d'un ampli neuf.Ce n'était pas l'habitude de son propriétaire de s'en séparer et il ne la laissait jamais au studio. S'il ne s'agissait sûrement que d'un oubli sans importance, cet élément eut sur le batteur un effet bien plus prononcé. Il soupira lourdement, le regard triste. Comment pourrait-il empêcher ses pensées habituelles de le tourmenter aujourd'hui, alors que ça faisait dix ans, jour pour jour ? Finalement résigné, le brun s'avança vers l'instrument. Il distingua un médiator blanc marqué d'un O et d'un T déposé négligemment sur le dessus de l'ampli. Jari le prit doucement entre ses doigts dans un instant qui sembla durer une éternité. Puis,dans un geste lent, il leva sa main gauche, frôlant du bout des doigts les cordes dont il connaissait le son à la perfection. Il parcourut l'objet avec une tendresse infinie et hors du temps. Un air nostalgique flottait sur son visage et, après un long moment, il retira ses doigts et se détourna. C'était inutile, vain, et il le savait.
A présent, Jari était assis sur l'estrade sur laquelle trônait majestueusement sa batterie noire. L'homme était immobile, le regard vitreux et vide, tourné vers le morceau de papier qu'il tenait entre ses mains. C'était tout ce qui lui restait. Bien sûr, après s'être égaré près de la guitare, le batteur avait tenté de penser à autre chose, de reprendre le cours de sa journée, mais à quoi bon ? Ses souvenirs l'avaient vite rattrapé. Il s'était installé un instant sur le siège en cuir qui faisait face à son instrument et d'une main sûre, il avait serré sa caisse claire, réglé l'ouverture de son charleston, rapproché ses cymbales et resserré quelques éléments sous les tomes. Une fois bien installé mais sans grand entrain, il avait entrepris de jouer enfin et il avait laissé ses mains guider ses baguettes, comme des extensions de ses bras. Batteur depuis des années, Jari n'avait plus besoin de prêter attention à ce qu'il faisait, la musique le rejoignait dès qu'il fermait les yeux. Mais aujourd'hui, le cœur n'y était pas, et après seulement quelques minutes, il avait abandonné cet instrument si cher à son cœur, incapable de jouer le moindre rythme, la moindre mélodie,déposant ses baguettes sur la peau de la tome basse. N'y tenant plus, il s'était levé et avait marché jusqu'à la fenêtre. Ses yeux avaient cherché à fuir avec son esprit, à travers le paysage enneigé qu'ils voyaient par la vitre, mais ils n'avaient pas tarder à glisser vers l'instrument d'un rouge éclatant. C'en était trop.Pourquoi fallait-il toujours que ses songes le ramènent dix ans plus tôt ? Pourquoi n'oubliait-il pas ? Pourquoi avait-il cessé de vivre depuis une décennie ? Le brun avait laissé ses doigts dériver vers le manche de la guitare et en faire sonner doucement les cordes. Il avait longuement fait les cent pas, seul et perdu.Finalement, il avait tiré le papier de sa poche et s'était laissé tomber sur l'estrade. En passant une main dans ses cheveux, il avait,de l'autre main, déplié, dans une délicatesse immense, la photographie qu'il ne quittait jamais.
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Eternity [Poets Of The Fall] Français/English
FanficFrançais / English Six hommes, un groupe, trois histoires : Poets Of The Fall I - Après dix ans, rien n'avait changé entre eux. Leurs sentiments, toujours intacts, ne pouvaient pas de nouveau les faire souffrir. Sauraient-ils enfin se regarder, se p...