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Le cliquetis métallique des clefs dans la serrure rouillée raisonna lors d'un instant au moment ou je la fis pivoter. Je me redresse, faisant craquer dans un bruit inquiétant mes lombaires, range mon trousseau multicolore dans une des poches de mon sweat et fourre mes mains tremblantes dans l'enveloppe de tissu noire. Le froid me ronge déjà la peau et les commissures de mes lèvres me tiraillent et m'empêche de sourire, au risque de saigner durant l'heure qui suivra. Arborant mon allure lente de la fin de semaine, je me dirige, silencieuse et transie par l'hivers, vers la station de métro la plus proche. Mes pieds traînent lourdement sur les marches et le sol bétonné du quai et mes yeux, alourdis par d'horribles cernes violets, arpentent les rails, mes iris se balançant entre les gravillons. L'annonce du prochain métro retentit et j'eus à peine le temps de relever la tête qu'une déferlante d'air brûlant me saute au visage, envahissant mes narines et me forçant à tousser pour expulser les résidus de pollution qu'a amené la machine. J'embarque, non sans rester en apnée, dans le wagon plutôt bondé par rapport aux autres soirs et écrase mon épaule contre la vitrine en prenant garde à ce qu'aucune parcelle de ma peau n'effleure le verre teinté de crasse. Le sol se mit doucement à trembler ce qui sonna le début de mes vingt minutes de trajet que j'allais sans plus attendre rythmer des musiques que je devais travailler. Je déverrouille mon téléphone, ouvre mon application contenant toutes mes playlists et lance aléatoirement ma liste de chansons. Un sourire vint orner ma figure fatiguée quand les premières notes de "How to Save a Life" s'échouèrent sur mes tympans, me promettant quelques instants de playback qui confirmeront que je maîtrisais enfin ce morceau.

Tandis que les paroles et les notes s'enchaînent, je reste en rythme en observant les autres passagers : un vieux couple collés l'un contre l'autre au fond d'un banc, une bande de jeunes que j'entends rire malgré ma musique, à mon plus grand dam, un homme d'une trentaine d'années qui tient dans ses bras un petit chien affolé et recroquevillé au creux de l'épaule de son maître. Et, au fond du compartiment, une jeune femme, sûrement du même âge que moi voire plus jeune, qui à ma manière s'était laissée tomber sur le plexiglass et était plongée dans ses mélodies. Je me surpris en train de m'attarder sur elle. Peut-être était-ce ses courts cheveux qu'elle avait rangé d'un côté de son crâne, laissant entrevoir à travers son écharpe sa nuque pâle ou bien le fait que son comportement ressemblait fort au mien qui ne me laissait pas indifférente. Apparemment, mon regard était un peu trop insistant et elle leva rapidement les yeux vers moi pour me fusiller, ses sourcils froncés lui donnant un air menaçant sans trop l'être, comme si elle se donnait des airs. Je fis mine d'être intimidée et abaissa, après un duel ironique, le regard en le reportant sur mes pieds qui tapent maintenant la cadence de "Sweet Child O' Mine". Elle arbora alors un sourire satisfait et récupéra son expression morose d'il y a quelques instants pour replonger librement dans ses morceaux. Je me mis à sourire à mon tour, un petit rictus un peu moqueur sans pour autant contenir une once de méchanceté.

L'arrêt plutôt brutal du métro me fit sortir de ma rêverie et m'indiqua que nous étions arrivés au terminus, qui est aussi ma station.  Je descends alors du compartiment, sans oublier de jeter un dernier coup d'il à ma compagne de voyage qui me tira allégrement la langue, m'arrachant un rire non retenu qui me fit gagner un sourire de mon inconnue avant que la porte coulissante ne se referme, mettant un point à notre rencontre éphémère.

Je me mis, sans plus attendre, en marche vers mon appartement, arborant une allure plus déterminée et rapide que précédemment.  C'est drôle comme un événement quelconque peut redonner un peu d'entrain et de joie lorsque l'on s'y attend le moins, pensais-je en sortant mes clefs pour les insérer dans l'encoche dorées de ma grande porte d'entrée.  J'habite dans un de ces petits bâtiment qui semblent vieux même après une rénovation et dont on ne s'approche jamais, de peur que la façade à l'aspect rouillée ne nous tombe dessus.  Bizarrement, j'aime cette ambiance qui diffère des autres immeubles, je m'y sens bien et en sécurité.  Je gravis les petits escaliers en briques conduisant au premier étage et pénètre en vitesse dans mon logement, poussant un soupir de bien-être en sentant mon corps se réchauffer.  Je me déshabille, enlevant mes chaussures et mon tour de cou qui commençait à m'irriter la nuque et m'élance vers mon terrarium pour saluer l'unique autre être vivant dans cet appartement, un peu vide à mon goût par ailleurs : mon serpent monochrome qui redressa sa petite tête en me voyant arriver.  Je tends mon bras vers lui et, comme à notre habitude, attends qu'il vienne s'enrouler autour de celui-ci, me créant une manchette bicolore.  Je me relève et vais m'installer sur les coussins de mon canapé, me calant contre l'accoudoir pour profiter de mes retrouvailles avec mon petit ami.  Mes muscles me font affreusement souffrir mais je ne peux blâmer personne à part moi-même.  Si rien d'autre ne me préoccupe, je passe la plupart de mon temps à faire du sport : dès que l'occasion se présente, j'enfile ma paire de baskets que je chéris depuis bientôt cinq années et pars courir quelques kilomètres que j'aime particulièrement rythmer de génériques d'animés.   J'essaye de trouver une position dans laquelle mes quadriceps ne me feront pas grimacer et finis par m'extirper de l'enveloppe rassurante de mon sofa pour aller me préparer mon repas de ce soir et par la même occasion aller reposer Loïs dans son petit désert, ce n'est pas qu'il ne m'apprécie pas mais il n'aime pas trop que je l'embête plus de quelques minutes.  Je passe une dernière fois mon index sur son crâne ébène et file derrière mes fourneaux, deuxième activité qui me prend énormément de temps et d'énergie mais qui m'apaise et me laisse le temps de réfléchir tout en mettant à l'uvre mes quelques talents de chimiste culinaire.  Je lance ma playlist de Jazz que j'affectionne tout particulièrement lors de mes activités à la maison et file jeter un il au ventre de mon frigo.  Une vague froide se déverse sur moi au moment ou je tire la porte blanche et me fais frissonner.  Je m'empresse d'attraper quelques légumes et me mets au travail, mon bassin ondulant, suivant la lente cadence du saxophone et de la trompette.  J'accorde une attention toute particulière à l'ambiance musical, peu m'importe le moment de la journée mais si je n'ai pas de musique j'ai beaucoup de mal à me concentrer ou, au contraire, à me laisser aller.

Trois bons quart d'heure de Louis Armstrong et de Duke Ellington plus tard, je dépose un bol de légumes sautés et parfaitement caramélisés sur ma petite table basse entre mon canapé et mon poste TV.  Je m'installe alors, avec un soupir de satisfaction, devant ma série du moment et mange en silence, me délectant du seul repas que je ne prend pas sur le pouce ou talonnée par mon horloge.  J'enchaîne deux épisodes de "Sherlock" avant de jeter un coup d'il rapide aux informations, histoire d'avoir de la conversation avec mes collègues demain.  Mes yeux suivent de plus en plus lentement les grands titres qui glissent sur le bas de l'écran et je remarque très vite, sans retenir un petit gloussement, que les protagonistes qui se critiquent entre eux deviennent flous au fur et à mesure que l'heure défile.  La fatigue m'emportant, je me lève, effectue une "vaisselle-express", n'ayant pas de lave-vaisselle, et pars me réfugier dans ma salle d'eau.  Je me place devant le miroir, inspectant mes immondes cernes violets qui ne daignent pas partir, tâtant du bout des doigts mes lèvres charnues et brûlées par le gel, tirant sur quelques unes de mes mèches noirâtres, constatant qu'il était grand temps que je les recoupe.  Je souffle bruyamment et entreprend de me brosser les dents, les yeux toujours rivés sur mon visage cramoisi de fatigue et d'overdose de travail.  Souhaitant en finir au plus vite, je me déshabille mais, cette fois, en faisant attention à ce que mon regard ne se pose pas sur la glace pointillée de calcaire.  Je hais mon corps, je l'ai toujours détesté.  Pour pas grand chose en vérité mais je n'ai jamais réussi à m'accepter telle que je suis.  J'ai beau être mince mais je possède un petit ventre qui me complexe et me fais du mal, plus que ce que je ne lui en fait.  Avant de laisser retomber le fin tissu de mon haut sur ma poitrine, je daigne tourner la tête et, effleure d'une main tremblante, les profondes cicatrices qui ornent mon abdomen.  Je repense alors à la jeune femme du métro et laisse un sourire s'établir, étirant doucement mes joues.  Qu'aurait dit mon inconnue si elle avait pu voir mes dégâts ?  Cette question me fit rire avant de m'attrister.  J'ai ravagé mon corps par simple haine contre ma personne et cela ne m'étonne en rien si mon âme sur rejette cette aspect de moi.

- Si je n'arrive pas à m'aimer, qui donc le fera hein ?, murmurais-je en me dirigeant vers ma chambre à coucher qui se situait à l'autre bout de l'appartement.

Laissant enfin mon esprit vagabonder à son grès, je me glisse sous les draps aux motifs orientaux et me repasse comme un film pour m'endormir,  la scène amusante du métro.

Besoins de se GuérirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant