La nuit

5 1 0
                                    

La nuit était tombée sur la ville. Il avançait seul dans la rue faiblement éclairée. Le bruit de ses pas, à peine audible, se répercutait contre les murs, en un écho régulier. Le froid lui mordait les mains comme un chien enragé. Sa silhouette longiligne filait dans la rue puis traversa la place déserte illuminée par les décorations de Noël. Il marchait vite sans savoir où il se rendait. Il n'avait qu'une envie, c'était de la revoir. Après quelques minutes, il arriva devant leur immeuble. Il entra et gravit les marches jusqu'au dernier étage. Il frappa à la porte. Pas de réponse. Il en fut troublé. Il décida de repartir, d'essayer de parcourir la ville à sa recherche. Il était perdu : il ne savait pas depuis combien de temps il ne l'avait pas revue.

Il prit donc la direction du boulevard. Le garde-fou le séparait du néant. Dans l'immensité noire qui s'étendait devant lui, il distinguait les montagnes, car au-dessus d'elles le ciel faisait scintiller sa parure aux milles éclats. Tandis qu'il passait devant des restaurants du boulevard, son attention fut soudainement attirée par une personne au-dedans.

C'était elle. Celle qu'il cherchait, et celle qu'il aurait accepté de chercher pour l'éternité. De toutes les utopies, c'était à ses yeux la plus charmante. Elle avait tout de la perfection. Sa chevelure brune ondulait en de douces cascades jusque dans son dos en laissant miroiter des reflets d'or à la lueur des chandelles. Son visage clair avait tout de celui d'un ange. L'univers entier était dans ses yeux ; une muraille sombre entourait des galaxies dorées et tournoyantes qui se perdaient dans le trou noir, jaloux détenteur de lumière. Sous son nez si charmant s'étendait un sourire, une bouche rouge qui laissait entendre une voix mélodieuse, étouffée par la vitre. Elle ne l'avait pas remarqué.

Il reprit conscience de lui-même. Il était resté figé. Chaque fois qu'il la voyait il avait un nouveau coup de foudre.

Assis en face d'elle à la table, un homme. Celui au dehors reconnut son frère. Il ne comprenait pas et il avait peur de comprendre. Ne voulant pas faire une scène dans le restaurant, il attendit dehors sur le boulevard en ressassant ses idées noires. Il sortir le paquet de cigarettes de sa poche, en prit une et l'alluma. Plus les minutes s'écoulaient, plus le mince espoir de voir un dénouement favorable lui échappait, en volutes de fumée.

Puis, enfin, il les vit sortir en riant. Ils s'embrassèrent.

Son monde était brisé. Il ne savait plus quoi faire. Il les suivit jusqu'en bas de leur bâtiment, la mort dans l'âme. La jeune femme laissa son compagnon puis s'engouffra à l'intérieur. Ce dernier s'en alla joyeux. Ils ne l'avaient pas remarqué.

Il décida de suivre son frère. Il pensait que suivre son amour ne lui apporterait que plus de souffrance. La vérité lui semblait devoir venir de son propre sang.

Il parcourut donc une grande partie de la ville sur les traces de son frère. Il restait à une bonne distance afin de ne pas être vu avant de le vouloir. Lorsqu'ils arrivèrent aux abords de son appartement, il s'arrêta net, il hésita trop longtemps et l'autre disparut dans le vestibule. Confus, il attendit devant pendant une dizaine de minutes, ne sachant comment agir. Puis son frère revint au dehors, un bouquet de fleurs à la main. Qu'allait-il en faire ? Le lui donner à elle ? Alors c'était vrai...elle l'avait quitté pour être avec son frère ? Elle n'aurait jamais fait une chose pareille, cela devait être un cauchemar.

Bien décidé à éclaircir cette histoire, il continua à marcher dans les pas du frère. Mais celui-ci ne retournait pas à l'appartement du boulevard où il avait laissé la jeune femme. Il se dirigeait ailleurs. Vers la caserne ? Pourquoi diable allait-il vers la caserne ? Non... il allait derrière. Au cimetière.

Lui qui avait été absent si longtemps...avaient-ils perdu un parent ? Il ne saurait le dire. Alors il suivit, dans un silence de mort. Son frère pris une allée, puis s'arrêta devant une tombe. Il y déposa les fleurs, il s'accroupit devant et dit :

"Je suis désolé. Je suis tellement désolé. Je m'occupe d'elle, tu sais. Tu lui manques. Elle ne veut pas le montrer, mais je le sais, je le sens. Je ne suis pas celui qu'elle aurait voulu. Je suis désolé...je...tu aurais dû être là..."

Puis il se leva, et marcha lentement vers l'entrée du cimetière, la tête basse et les bras ballants. L'autre qui avait suivi et tout observé n'y comprenait plus rien. Tout ceci n'avait aucun sens. Avec curiosité, il s'approcha de la tombe. Il n'arrivait pas à croire ce qu'il y voyait. La tristesse et l'incompréhension l'envahirent. Tout ceci ne pouvait pas être vrai, c'était impossible. Le souffle lui manquait et par réflexe, il porta sa main à sa gorge. Horrifié, il se concentra, tendu. Il devait y avoir un pouls. Et pourtant, il n'y avait rien. Le nom sur la tombe, c'était le sien. 

La nuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant