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Je me dois d'être honnête avec vous : je ne suis pas seul aux commandes. Je suis secondé par une I.A. Et je peux vous dire que ce n'est pas du luxe. C'est elle qui me bombarde de statistiques à longueur de journée. Volumes extraits à ce jour. Statut des consommables. Pertes humaines, matérielles... Ma tête à moi est faite de mots ; la sienne, de chiffres. Elle emmagasine sur ses disques durs une quantité indénombrable de données, essentielles comme superflues. Mon cerveau, lui, fait le tri. Voilà pourquoi on se complète. Il n'est pas impossible qu'elle nous survive tous. C'est la raison pour laquelle je l'appelle Pétra, qui signifie roche en grec. J'ai choisi ce petit nom en souvenir des stèles sur lesquelles nos ancêtres racontaient leur histoire. S'ils avaient pu imaginer un jour que la postérité au nom de laquelle ils gravaient diligemment finirait par tout pulvériser, ils n'auraient certainement pas perdu leur temps dans une activité aussi vaine.

Je commence moi-même à douter de l'utilité de mon entreprise. J'ai néanmoins sauvegardé une copie de ce message dans la mémoire de Pétra. Elle a daigné accorder une petite parcelle d'octets à ces mots qui ne lui parlent pas. Elle ne voit pas l'intérêt de ma démarche. Peut-être n'est-il pas évident pour vous non plus. Il me faut donc préciser ceci : vous qui êtes en train de déchiffrer les divagations d'un homme désabusé, venez d'entrer en possession d'une relique — probablement la dernière — d'une civilisation disparue. « Civilisation » n'est d'ailleurs peut-être pas le mot adéquat. « Monde » serait plus exact. Une planète entière, effacée à jamais de la galaxie. Un grain de sable sur l'échelle de l'univers, certes, mais quel grain ! Si vous aviez connu la Terre, vous n'auriez pas hésité à la qualifier de plus beau caillou du cosmos ! Cette planète bleue si propice à la vie était somme toute une bizarrerie dans le macrocosme autrement mort. Je ne pouvais m'empêcher de l'admirer quand j'en avais le loisir, par le hublot de ma station de contrôle.

Avant qu'elle ne disparaisse.

Encore une fois, mon témoignage se projette trop en avant, et me voilà à devoir faire marche arrière pour expliquer le pourquoi du comment.

Je ne vous ai pas encore décrit l'appétit insatiable que les humains ont développé pour le marsium. Le marsium est, avec l'uranium 235, le seul radioélément naturel possédant les caractéristiques d'un isotope fissile. D'après de savants algorithmes prospectifs, il libérerait, par désintégration radioactive, une quantité d'énergie telle qu'on a été incapable de mesurer l'ampleur des dégâts qu'elle pouvait causer. (Serait-ce cette curiosité inassouvie qui sonna le glas de notre espèce ?) Toujours est-il que du jour au lendemain, cette découverte transforma nos armes nucléaires en simples lance-pierres. Or la fronde est une arme bien peu dissuasive sur l'échiquier géopolitique. Les gouvernements se lancèrent donc dans la course au marsium. Les puissances alliées formèrent la plus vaste corporation pénitentiaire jamais vue, dans le but d'exploiter à moindres frais les précieuses ressources du sol martien. Les autres, eux, se firent tout petits.

Et qui fut le grand gagnant de cette course insensée ? À en croire les débris terrestres qui viennent parfois s'écraser par chez nous, personne. La poignée de survivants que nous sommes n'y a rien gagné non plus. En l'absence de ravitaillement, nous voilà condamnés à mourir. De faim ? De soif ? D'asphyxie ? De désespoir ? Ce choix me revient, quelque part.



La bien nommée [NOUVELLE] [SF]Where stories live. Discover now