Chapitre VI.

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LEONARD

Paul semble vraiment mal en ce moment. D'une certaine façon, ça m'attriste. J'aimerais être assez important pour lui pour qu'il me confie ce qui ne va pas, ce qui hante ses nuits. Mais il ne se confie pas. Paul ne dit rien. Paul ne pleure jamais. Paul sourit à peine. Paul est impossible à cerner. Ça m'énerve parce que d'habitude, c'est quelque chose que je fais plutôt bien. Mais là c'est vraiment différent. Il ne laisse jamais rien paraître de ses émotions, il paraît toujours las et indifférent. Mais ce n'est pas possible, il doit bien avoir des sentiments, sinon je devrais m'inquiéter sur sa nature humaine. Ça m'étonnerait qu'il soit un psychopathe ou un sociopathe. Ça ne correspond pas avec le profil de sa soeur.
En cours de physique, il n'a pas cessé de râler sur Esther.

-Écoute fais le premier pas je ne sais pas moi Esther. Tu me demandes de te conseiller en amour alors que ma vie amoureuse est aussi explosive que le Vesuve!

La blonde, vexée, ne lui adresse pas la parole durant les une heure qu'il reste de TP. Elle rabat ses cheveux en une queue de cheval et s'empêche de pleurer. Ça se voit que ce que Paul lui a dit l'a touché. Val ne dit rien et reste en retrait. C'est pour ça que Valentin est si cool. Il ne se mêle jamais de rien, ne prend partie de personne, et ça le rend tellement neutre qu'il est ami avec tout le monde. Lorsque la sonnerie retentit, la blonde parle assez fort pour que je puisse l'entendre.

-Je sais pas ce qui t'arrive en ce moment Paul, je le sais pas parce que tu me parles de rien, pourtant je suis ta meilleure amie depuis toujours. Alors va peut être falloir que tu reussisses à developper tes sentiments un jour. Parce que je te jure que là je suis à deux doigts de te laisser tomber! Tu mérites même plus mon attention! Tu ne fais pas d'effort, tu restes dans ta bulle d'inconfort et c'est insupportable de te voir murer dans le silence! Reviens me voir quand tu seras décidé à me confier quelque chose. À moins que je ne sois pas assez digne de confiance pour toi!

Elle enlève sa blouse blanche, la met en boule et la jette dans son sac à mains couleur camel. Je fronce les sourcils et jette un regard à Val, tout aussi interloqué que moi. Il hausse les épaules et s'apprête à parler avec Paul. Mais celui ci part aussi précipitamment que sa meilleure amie quelques secondes plus tôt. Il semble encore plus las que d'habitude, et, là, tout de suite, l'état de Paul a suscité ma pitié. Je me sentais aussi mal que lui. Et j'aimerais vraiment beaucoup comprendre.

"On se voit après les cours? Chez moi cette fois?"

Son message a été envoyé quelques minutes avant la fin des cours. Je cherche à accrocher son regard au mien dans la salle du cours d'histoire géo, mais en vain. Il fixe la fenêtre avec insistance, comme si c'était la seule chose qui ne pouvait pas le juger.
J'ai répondu un vague oui à son message. Et à la fin des cours, le voilà qui m'attendait à l'arrêt de bus. Une clope au bout des lèvres, les mains tremblantes en essayant d'allumer la flamme de son briquet. C'est la première fois que je le voyais fumer. Je ne savais même pas qu'il le faisait.
Mes yeux se sont arrêtés de longues secondes sur ses mains, sur la cigarette qu'il tenait entre ses lèvres, sur l'arrête de son nez, sur ses cheveux decoiffés.

-Tu es là

Il a dit ça froidement, presque en murmurant, en recrachant la fumée de sa cigarette. Me regardant de ses yeux bleus que je trouve si beaux habituellement. Ils étaient si ternes, d'habitude si lumineux.

-Je suis là

Je ne savais pas comment peupler la conversation. J'ai laissé le silence planer entre nous, comme ça nous arrivait souvent. Mais là, le silence était plus lourd, il me faisait suffoquer, m'empêchait de respirer.
Lorsque le bus est arrivé, il a jeté sa cigarette sur le bitume et l'a éteinte de son talon, l'a reprise entre ses doigts pour s'assurer qu'elle était bel et bien éteinte et l'a jeté dans la poubelle près de l'arrêt. Il est ensuite monté dans le bus, et je l'ai suivi. M'enfermant moi aussi dans le silence.

Nous sommes restés debout durant le trajet, côte à côte. Nos mains se frôlant presque en tenant la barre de métal qui nous empêchait de perdre l'équilibre. J'ai soudain eu l'image que la barre était la sécurité de la vie, lorsqu'on la lache, on devient comme Paul, on dérive, perdus, sans savoir où l'on va.

J'étais déjà venu chez lui une fois pour lui rendre sa mariniere et son stylo. Je ne pus m'empêcher de regarder partout. C'était beau, bien décoré, spacieux mais pas trop, juste ce qu'il faut. Le salon était décoré dans les tons lin, beige, marron et blanc. C'était vraiment beau et ça avait le don de m'apaiser. La salle à manger quant à elle, tranchait avec les couleurs pales du salon. Elle était grise, blanche, et rose pâle. C'était joli, plus froid mais joli. Il ouvrit la bouche pour me parler et sa voix grave m'avait soudain manquée.

-Tu viens?

J'ai hoché la tête. Un peu honteux d'avoir tout reluqué dans sa maison.
Sa chambre était très impersonnelle. Aucune photo, sauf une. Esther et Valentin, ils doivent avoir douze ans. Aucun poster, aucun truc qui dépasse, le lit fait au carré.
Je remarque des tas de livres sur une bibliothèque. Quelques CD sur une pile incertaine au dessus d'une chaîne hifi.

-Tu écoutes Muse toi aussi?

Il a hoché la tête.

-Installes toi a-t-il dit en se raclant la gorge et en posant son sac dans un coin de la pièce. Tout était trop parfait pour que j'ose m'installer. Il a compris ma gêne, s'est assis au bord de son lit et m'a invité à faire pareil.

-Pourquoi tu m'as invité?
-Pour faire comme d'habitude
-Tu vas bien?

Il soupire. Ferme les yeux et me regarde les yeux embués de larmes. Il secoue la tête pour dire que non. Il se mord la lèvre pour s'empêcher de craquer.

-Racontes moi. Je suis là

Il se racle à nouveau la gorge. Se lève. Range ses mains tremblantes dans les poches de son jean et fait face à la fenêtre qui donne sur la rue.

-Il n'y a rien a raconté. Je ne sais juste plus qui je suis. Je ne sais plus si être ici en vaut la peine. Je dors presque plus, je me sens faible tout le temps. Je suis incapable de montrer un seul de mes sentiments. Je me renferme sur moi même et n'en parle jamais. Mais à force de ne rien dire je me détruis seul, repoussant les gens qui voudraient m'aider. Esther ne veut plus m'adresser la parole. Et Val est ton meilleur ami, alors comment je pourrais me sentir bien? La vérité c'est que je me sens terriblement seul putain!

Il se met à pleurer pour de bon cette fois. Je me sens impuissant parce qu'il est vraiment mal et qu'il est en position de vulnérabilité énorme face à moi. Mais je me sens aussi très flatté qu'il s'ouvre à moi de cette façon. Je n'ai jamais été très doué pour aider les gens encore moins pour les réconforter. Je me lève et m'apprête à glisser le dos de ma main sur sa joue pour essuyer les larmes. Je suspend mon geste et soupire en laissant retomber mon bras le long de mon corps.

Il n'a pas vu mon moment de faiblesse, il n'a pas vu mon geste ambiguë. Je finis par le serrer contre moi. Son dos touchant mon torse. Il se retourne face à moi et s'accroche à mon dos comme s'il avait peur que je parte, que je le laisse seul dans cette situation horrible. Je ne sais pas si nous sommes vraiment amis lui et moi, mais j'ai décidé de mettre cette question de côté ce soir, au moins jusqu'à ce qu'il aille mieux. Et j'ai répété, pour lui et pour moi.

-Je suis là. Ça va aller.

Même Paul et Léonard rêvent d'amourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant