Clandestins (10) - Tys'Naïa

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Elle avait surgi entre les arbres, un matin, inattendue et pourtant aussi certaine que le ciel.

La mer.

Tys'Naïa en avait le souffle coupé.

Ils avaient pris la route des plateaux depuis Kordo, marchant au creux de paisibles vallées, entourés par les montagnes. Les températures clémentes du printemps les avaient accompagnés sur tout leur trajet, à travers la nature sauvage et placide du pays. Ils avaient emporté quelques provisions avec eux — fromage de brebis et galettes de seigle — mais il n'était pas difficile de se nourrir pour trois chasseurs de leur trempe. Les lapins de garenne étaient partout, tout comme de grands échassiers au ramage blanc et noir. Ils avaient aussi croisé des troupeaux de bisons sauvages ou de bouquetins, mais ils s'étaient bien gardés de s'en approcher. Les uns constituaient des proies trop ardues pour eux seuls et les autres appartenaient sûrement aux tribus nomades.

Plus d'une fois, ils avaient trouvé refuge pour la nuit parmi ces communautés d'éleveurs qui parcouraient les plateaux à la suite de leur bétail. Ils s'étaient aussi arrêtés dans des fermes ou dans des hameaux étonnés de recevoir des voyageurs aussi exotiques. Plus d'une fois, ils avaient dû rebrousser chemin devant des portes closes. La présence de Niédar, cet Iwisien, cet Elfe blanc à la peau marquée, ne laissait jamais indifférent. Les habitants des plateaux n'accordaient pas facilement leur confiance à des étrangers, plus encore lorsque ceux-ci étaient accompagnés d'un méridional.

Depuis leur départ de Kordo, les rapports avec Niédar s'étaient normalisés. Tys'Naïa et Naarn avaient appris que s'ils le laissaient en paix, l'agressivité naturelle du renégat se tempérait. Il se muait en un compagnon de voyage taciturne mais efficace. Tys'Naïa comprit peu à peu qu'il était un homme d'action pragmatique. Il ne rechignait jamais devant le labeur. S'il n'était pas sympathique, il prenait largement sa part à la chasse ou à l'organisation des bivouacs qu'il installait avec une rigueur militaire. Peut-être avait-il été jadis un soldat, dans un lointain passé. C'était surtout la force de sa détermination qui la fascinait. Depuis qu'elle connaissait la nature de son crime, elle n'avait pu s'empêcher de l'observer à la dérobée. Elle ne voyait pas en lui une brute ou un tyran, seulement une volonté inextinguible. Elle admirait son indépendance et enviait sa liberté.

Dans certains endroits, on leur avait parlé d'événements troublants, de Morts-Vivants qui rôdaient dans la lande. On s'inquiétait. Maintenant qu'ils approchaient de leur but, Tys'Naïa oubliait la langueur des journées de marche ainsi que toutes les rumeurs qui couvaient dans l'obscurité. Dans ses rêves d'évasion les plus audacieux, le lac sans limites de la mer était impossible à retranscrire. Quel espace infini ! La côte au nord était composée de longues plages de sable blanc qui jouxtaient les forêts au pied des plateaux. À l'est, c'étaient les falaises escarpées de la Péninsule de l'Aigle et, tout au bout, Drakwan. Pour l'instant, il n'y avait que le bleu de la mer reflétant celui du ciel.

Tys'Naïa entendit ses deux compagnons se rapprocher d'elle. Quand elle avait senti l'iode et entendu le bruit des vagues, elle avait couru en avant sans les attendre. Pour être la première.

— C'est magnifique ! dit-elle en serrant l'épaule de son frère.

Naarn lui répondit en lui rendant son accolade. Se demandait-il, comme elle, ce qu'il y avait de l'autre côté ? Ou au fin fond des abysses ? Tys'Naïa entendait le souffle des embruns, les cris des oiseaux marins, la longue plainte des vagues. Toute cette musique était un ravissement pour elle. La mer avait bouleversé son cœur bien plus profondément qu'elle ne l'aurait jamais admis.

Son frère se dégagea doucement de son étreinte et reprit la route vers les falaises. Tys'Naïa ne voulait pas partir tout de suite. Elle souhaitait savourer ce moment.

L'Herboriste - Les Thaumaturges IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant