Il n'ouvrit pas les yeux tout de suite, il ne s'en sentait pas capable. Il pouvait seulement ressentir la fraîcheur de l'herbe sous son corps, caressant ses mains nues. Il bougea d'abord un orteil qu'il sentit emprisonné dans sa chaussure, puis une jambe qui caressa la nature à travers son pantalon, et il souleva enfin ses paupières. Il cligna des yeux plusieurs fois afin de s'acclimater à la lumière ambiante si rayonnante. Le ciel était clair, bleu, et les nuages si blancs qu'ils semblaient irréalistes. Mathis tourna la tête à droite, il y avait de la verdure à perte de vue et un soleil tant éclatant qu'il lui brûlait les yeux. Il était lent, fatigué, sonné comme s'il avait pris un coup de massue sur la tête. Il sentit enfin son bras gauche comprimé, et tourna son visage de l'autre côté. Il y vit deux femmes qui lui semblaient familières, visiblement inconscientes, allongées à côté de lui. L'une d'elles entourait fermement le bras de Mathis d'une main très blanche et squelettique. Mais il était trop sous le choc pour les reconnaître, sa tête semblait tourner, tout se bousculait sans qu'il puisse vraiment comprendre une seule des pensées qui se battait avec les autres pour creuser son chemin jusqu'à lui. Il se redressa péniblement et posa une main sur son front pour tenir sa tête ; il n'avait mal nulle part. Il se demandait ce qu'il faisait là, où il était. Le vent ne soufflait pas, il n'y avait aucun insecte dans l'herbe brillante, tout était parfaitement immobile, comme s'il se trouvait dans un décor d'une pièce de théâtre d'école maternelle.
Il sentit du mouvement à côté de lui mais ne regarda pas, son cerveau bouillonnant toujours.
« -M... Monsieur ? murmura une petite voix aiguë. »
Ça y est, il savait qui elles étaient. Il entendit grogner la journaliste, qui ne semblait pas aussi frêle et perturbée que Flavie.
« -Monsieur, reprit cette dernière. Est-ce que ça va ? »
Mathis sourit en entendant que, même maintenant, elle prenait à coeur son boulot.
« -Oui, répondit-il distraitement. Ça devrait aller.
-Parle pour toi ! On est où là ? »
Camille se leva lourdement et commença à regarder autour d'elle. Mathis remarqua une sorte de petite cabane en bois à l'horizon, en haut d'une colline, si loin qu'il n'était même pas sûr que ce ne soit pas simplement un arbre.
« -Monsieur ! Qu'est ce qu'on doit faire ? »
Il se retourna vers elle et vit qu'elle était complètement paniquée, encore plus que quand il l'avait rencontrée.
« -Vous n'êtes pas à mes ordres, c'est pas à moi de décider ce que vous faites ou pas. Je ne suis plus ''monsieur le Président''.
-Mais t'es responsable de notre situation, alors t'as intérêt à trouver une solution et vite, j'ai autre chose à faire que rester ici, argumenta Camille.
-Je ne vous ai rien demandé, vous vous êtes jetées là-dedans avec moi, alors c'est votre problème.
-Je voulais juste éviter qu'elle se jette avec toi. Qu'un menteur dans ton genre disparaisse de la surface de la Terre ne ferait de mal à personne, mais elle faisait simplement son boulot, continua-t-elle.
-Stop ! Arrêtez, tous les deux ! interrompit Flavie. Ce n'est la faute de personne, mais c'est notre problème à tous, alors on va trouver une solution sans s'insulter, merci ! »
Elle se leva et se mit à observer loin devant elle, cherchant une échappatoire qui n'existait sûrement pas. Sa détermination devait être aussi illusoire que sa recherche d'une solution, car Mathis voyait bien dans ses yeux de la panique, et des larmes retenues.
« -Bon, comment on sort de là, nous ? demanda Camille.
-On sort pas, répondit-il simplement. »
Les deux se tournèrent vers lui, l'une intriguée, l'autre enragée.
« -Enfin, pas tout de suite en tout cas, corrigea-t-il. »
Les regards s'adoucirent un peu mais elles ne semblaient toujours pas convaincues.
« -Ah, recommença Camille. Monsieur veut se payer des vacances au pays imaginaire ?
-Je veux juste retrouver ma femme, soupira-t-il, peu envieux de se disputer. »
Elles se turent d'un coup. Le vent aurait pu souligner le manque de paroles s'il y avait eu ne serait-ce qu'une brise légère.
« -Pardon ? Retrouver votre femme ? Mais, Monsieur, elle est...
-Morte ? la coupa-il. Autant que nous. »
Le silence, cette fois, était glaçant, et il se fit interrompre par les débuts de sanglots étouffés que Flavie ne pouvait plus retenir.
« -On est vraiment...?
-Non, je passe pas l'éternité avec un politique.»
Et elle se mit plus ardemment à rechercher une issue, appelant à l'aide, brisant le silence presque berçant. Mathis ne répondit même pas. Il se fichait pas mal d'elles, du fait qu'elles soient là, ou encore de ce qu'elles pensaient. Il était las de se justifier, de les entendre, de communiquer. Il n'avait plus qu'une idée en tête, et tenta tant bien que mal de se concentrer dessus alors que l'une pleurnichait et que l'autre hurlait de toute la force de ses poumons.
« -Putain, lâcha Camille. Y'a personne qui va nous entendre. »
Elle s'assit lourdement au sol, le visage dur, semblait dans ses pensées, les yeux dans le vide ; Flavie redoublait de hoquets. Mathis se sentit alors coupable, même s'il ne l'avouerai jamais, d'être la cause de leur présence, de leur malheur. Elle étaient plutôt jeunes, toutes les deux, et Mathis venait d'arracher au monde deux femmes qui auraient pu le changer, si elles avaient voulu. Ils restèrent quelques secondes dans un silence que Mathis trouva plutôt agréable, Flavie s'était même calmée.
« -Vous pensez que c'est le paradis, ici ? demanda-t-elle finalement plus à elle-même qu'aux autres.
-Je parierai plus sur l'enfer, répondit doucement Camille.
-L'enfer ? reprit-elle. Je pense pas que l'enfer soit aussi beau, rêva-t-elle d'une voix presque enfantine.
-Non, mais aussi faux, oui. »
Mathis ne comprit pas tellement ce qu'elle voulait dire mais n'eut pas le temps de poser la question.
« -Regardez les nuages, dit-elle alors que tous levèrent la tête. Ils sont tous blancs et homogènes, pas un seul morceau de gris, pas un trou qui laisse entrevoir le ciel. On dirait un dessin d'enfant. En plus, ils ont pas bougé d'un millimètre depuis qu'on est là, ils sont comme accrochés au ciel. »
À ces mots, elle se tut, et Mathis avait senti sa voix trembler un peu, bien qu'elle essayait manifestement de le cacher. Il prêta alors plus attention aux alentours ; il ne savait s'il s'imaginait des choses avec cette idée en tête, mais le ciel lui semblait à présent si immobile, le soleil si brillant, l'herbe si unicolore, qu'on aurait presque dit que c'était fait exprès. Mathis se tourna à nouveau vers la silhouette de la maison au loin, seule tâche dans cet oasis illusoire, et il eu l'impression qu'elle avait avancée.
« -Vous voyez la... commença-t-il. »
Mais il s'arrêta aussitôt. Il avait entendu quelque chose.
« -Quoi ? demanda Flavie
-Tais toi ! »
Il tendit l'oreille, attendit quelques instants, mais il n'y avait plus rien, et il se dit qu'il devait avoir rêvé, quand ça recommença.
« -Là, vous avez entendu ?
-Entendu quoi ? Y'a rien, répondit Camille.
-Si, si ! Y'avait quelque chose ! Un rire, une femme ! »
Il ne le dit pas, mais il le pensait. Pas une femme, sa femme. Il se leva et scruta l'horizon, la cherchant partout.
« -Monsieur, il n'y a r... »
Mais ça reprit, et le bruit venait de la cabane. Alors il se leva, et son coeur se mit déjà à battre d'espoir. Après tout, s'ils avaient atterri là, pourquoi les autres non ?
« -Visel ? demanda Camille. Tu perds déjà la boule ? »
Il se mit à courir, plus vite qu'il n'avait jamais couru. Les deux femmes commencèrent à lui courir après, mais il ne les entendit même pas, tant son esprit était occupé ailleurs. Son coeur cognait contre sa poitrine si fort que Mathis l'aurait bien vomi s'il avait couru ne serait-ce qu'un peu plus vite. Il allait la retrouver, la voir, l'enlacer, l'embrasser, sentir son odeur, entendre sa voix. Il ne sentait pas la douleur, la fatigue. Il ne sentait pas son cerveau brûler, fuser, ni sa tête qui tambourinait pour lui dire d'arrêter. Toutes les cellules de son corps frissonnaient, le moindre atome voulait exploser. Dans sa course effrénée, il ne fatigua pas une seule fois, mais comme pour lui redonner de la vigueur, il entendait son rire résonner à quelques reprises. Il riait avec elle, mais il manquait de souffle. Enfin, il s'approchait de la maison. Il ne prit même pas le temps de la regarder, il ne savait pas à quoi elle ressemblait, il comptait juste les mètres avant d'y arriver, les yeux fixés sur le trou noir que constituait la porte. Dans son compte à rebours final, il entendit son rire de plus en plus fort avant de s'arrêter, d'un coup, lorsqu'il franchit le pas de la porte, s'engouffrant dans l'obscurité sans aucune hésitation.
L'air changea d'un coup, et il n'était plus du tout éclairé par le soleil derrière lui. Il faisait sombre, il n'y voyait rien. Malgré son essoufflement, il se tournait et retournait, criant son nom du peu d'oxygène qui lui restait. Il semblait un fou, un perdu, ce qu'il devait être un peu. Ses deux acolytes franchirent la porte en sueur, haletantes.
« -Mais ça va pas bien ? s'essouffla Camille. Qu'est ce qui t'a pris ?
-Chut, chut ! Je l'entends plus !
-Entendre quoi ?
-Alizée ! Elle est ici ! »
Et il reprit à crier son nom, scrutant l'ombre.
« -Monsieur, il n'y a personne.
-Si, je l'ai entendue ! Je te le jure ! »
Des larmes naquirent dans ses yeux, brouillant sa vue, alors qu'il commençait à comprendre, sans pouvoir se l'avouer, qu'elle n'était pas là.
« -Si elle était là, elle aurait répondu, dit Camille d'une voix étonnamment douce. »
Mathis tomba sur ses genoux, regardait le sol sans vraiment voir quoi que ce soit. Tout son corps tremblait, de fatigue sûrement mais aussi d'émotion.
« -Mais... Je l'ai entendue... sanglota-t-il. »
Il se laissa aller à pleurer, la perdant une nouvelle fois. Il entendit les filles échanger quelques mots, puis des bruits de pas qui s'éloignaient, et un bras passa sur ses épaules pour le réconforter.
« -Monsieur, on va la retrouver. »
Flavie, d'une soudaine assurance dans la voix, s'assit à côté de lui. Mais il ne voulait pas qu'elle le réconforte, ce n'était pas son rôle, pas à elle. Il la laissa néanmoins faire, car sa bouche était comme anesthésiée, il ne pouvait prononcer un seul son. Une lueur apparut dans un coin de la pièce, là où Camille s'était aventurée. Elle tenait dans sa main une longue bougie blanche et neuve, et une unique allumette.
« -Ces deux objets parfaitement propres dans un tiroir complètement pourri et entrouvert pour qu'on le remarque, quelle magnifique coïncidence ! ironisa-t-elle. »
Et, en effet, c'était bizarre, mais la perspective d'un peu de lumière dans la pièce chassa vite cette idée. Tout était poussiéreux, presque trop, et les meubles n'allaient pas tarder à s'effondrer sur eux-mêmes tant ils étaient vieux et cassés. Une vraie maison abandonnée d'un film d'horreur moyen.
« -On dirait qu'on est dans un jeu vidéo, dit Flavie.
-Bah vu la gueule de la maison, j'ai pas envie de voir le boss final, rétorqua Camille en continuant de scruter les alentours à l'aide de sa bougie. »
Mathis eu alors une énorme prise de conscience. S'il voulait sortir d'ici, retrouver Alizée, il lui fallait terminer ce ''jeu'' malsain. Après tout, peut-être les premiers disparus avaient-ils eu le même raisonnement, et il suffisait de les rattraper dans leur aventure pour les retrouver. Quant à la manière de sortir d'ici une fois tous réunis, c'était une autre histoire.
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APOCALYPSE
Ficțiune științifico-fantastică2067, le Président de la République française, Mathis Visel, est confronté du jour au lendemain à un événement jamais vu dans l'Histoire de l'humanité : la moitié du pays a disparu de la surface de la Terre, emportant des millions d'innocents dont s...