Doux et amers

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Les souvenirs sont comme des nuages.

Voilà la réflexion qui me vient à l'esprit quand je regarde le ciel.

Ce ciel qui, parfois, m'accompagne dans mes émotions. Quand je suis triste, il pleure à ma place. Quand je suis heureuse, il sourit avec éclat. Quand je doute, le vent vient à sa rescousse pour chasser les nuages et laisser place à la renaissance.

Allongée dans l'herbe, mes pensées divaguent, les formes se fixent et je suis projetée dans le passé.

Tiens, ces nuages ressemblent à un homme et une femme, qui, malgré leurs mains tendues, se retrouvent séparés.

Cela me fait penser à mes parents divorcés, à ma rupture et à toutes ces personnes dont l'amour ou l'amitié a implosé.

Tiens, celui-là représente une petite fille très joyeuse.

C'était moi avant mon adolescence, ce sont les jeunes dans l'insouciance, c'est l'enfance.

Tellement de ressemblances, mais je sais bien que ce sont mes sentiments de tout mon vécu qui sont réunis pour m'expliquer le présent de ma vie. Les souvenirs nous façonnent, nous blessent. Doux et amers. Obscurs et clairs. Juste un changement d'air et tout apparaît ou disparaît. Tantôt présents, tantôt absents...

« Alors ? Encore en train de rêvasser ? »

Avec sa nonchalance habituelle, mon ami interrompit mon flot de pensées.

« Je m'égarais dans les méandres de mon passé.

- Comment ça ?

- Regarde les nuages et dis-moi ce que tu vois. »

Il rejoignit mon carré de verdure avec une moue boudeuse. Il devait encore se demander d'où cette nouvelle lubie sortait. Pourtant, il ne rechigna pas devant cette tâche imposée. Alors il s'assit à mes côtés, leva les yeux et se concentra.

Pendant de longues minutes, il ne dit rien.

Puis il sortit de sa contemplation.

« Là. »

Il pointa son doigt vers une direction seulement connu de lui.

« Je vois des chevaux.

- Et à quoi ça te fait penser ?

- Bah, à des chevaux.

- Non ! – je ris – Quel moment de ton histoire te revient à l'esprit quand tu les vois ?

- Je dirais... la ferme de mes grands-parents. Ils avaient des chevaux majestueux. Si grands, si puissants. La crinière au vent, les mouvements de leurs muscles... Tout m'impressionnait, me fascinait. »

Je me tus face à l'expression de son visage. Il semblait si heureux, mais aussi triste, car ces instants appartenaient à un passé révolu depuis longtemps. Il tourna sa tête vers moi et je me rendis compte que mon pronostic était erroné.

Non, il n'était ni attristé, ni enjoué. Il était paisible.

« Et toi, que vois-tu ?

- Différentes choses provenant de ce que je ressens quand je me souviens.

- Alors dis-moi, celui-là, c'est quoi pour toi ? »

Il me désigna un nuage qui se détachait des autres.

« Je vois... Attends... Une mère qui se penche au-dessus d'un couffin. Et toi ?

- Une mère qui abandonne son nouveau-né. »

Un écho à sa propre vie, pensais-je.

Nous pouvons voir tant de choses dans ce ciel que peu de personnes observent. La plupart des gens marchent en fixant leurs pieds pour éviter le regard des autres ou pour avancer avec précaution. D'autres gardent les yeux francs et droits pour évoluer avec détermination. Puis, il y a cette infime partie de la population qui ose jeter son dévolu sur les couleurs du dôme. Tantôt il est d'un bleu éclatant, tantôt il est voilé d'un ton grisâtre, tantôt il est parsemé de cotons, tantôt il s'embrasse, tantôt il baigne dans une noirceur percée par de petites lumières. Tantôt le jour et la nuit se battent pour lui. En son sein, il porte tant d'expressions, de sentiments, d'émotions. Il accompagne chaque instant de l'univers.

De nouveau, mon ami me tira de mon mutisme.

« Tu sais, si les nuages représentent des réminiscences, alors... il faut prendre garde.

- Pourquoi ?

- Elles peuvent nous emprisonner, nous empoisonner, et ainsi nous empêcher d'avancer. Quand tu regardes autour de toi, tu t'en aperçois.

- De quoi ?

- Que les gens ne sont pas connectés à la réalité. Qu'ils se divertissent pour ne pas penser, car le danger provient du passé avant tout. La perception que chacun en a peut être faussée ou réaliste.

- C'est vrai... Mais le futur aussi est effrayant.

- L'inconnu l'est. L'avenir, lui, est palpitant.

- Quelle est la différence ? »

Il sembla se replonger dans ses réflexions pour en tirer la meilleure réponse.

« Et bien peut-être n'y en a-t-il aucune, ou peut-être est-ce aux gens de choisir... encore une fois ?

- Tu m'embrouilles, je ne comprends rien.

- L'avant, le présent et l'après. Leur interprétation, leurs répercussions, leurs secrets n'appartiennent qu'à la personne concernée. Tu ne trouveras jamais deux parcours identiques, car chacun est libre d'expliquer sa vie comme il l'entend. D'une manière rationnelle en acceptant tout et en n'accusant personne, ou d'une manière confuse pour se voiler la face.

- Et toi, tu te situes où ?

- Dans ton imagination. Pour te rappeler tout ça.

- Tu es bête ! – dis-je en riant, mais cela ne déclencha aucune réaction chez lui.

- Tu sais bien que je serai toujours là pour toi... – il marqua une pause – Même mort, je t'accompagnerai dans tes réflexions.

- Mais de quoi tu parles à la fin ? »

Mon cœur commençait à s'affoler.

« N'oublie jamais que le ciel ne nous montre pas seulement le passé, mais aussi nos rêves et donc notre avenir. Celui que chacun porte secrètement en soi. »

Il m'adressa un dernier sourire bienveillant avant qu'une lumière éblouissante apparaisse devant mes yeux, aspirant mon ami dans cette douce aura. Il s'évapora et j'ouvris les yeux.

En m'asseyant, je compris que j'avais rêvé de lui.

Comme souvent, lorsque je regardais le ciel.

Oui, les souvenirs sont comme des nuages. Ceux d'un jour de soleil montrent une certaine mélancolie, une certaine nostalgie, mais aussi les moments heureux. Ceux d'un jour de pluie signifient l'amertume, la tristesse, la colère. Puis il y a les jours où le vent dégage les nuages gris pour laisser place aux éclaircies, et ça, c'est l'espoir.

Doux et amersWhere stories live. Discover now