Le crépuscule de la haine

14 2 0
                                    

L'alarme stridente du réveil retentissait.

Il était huit heures.

Mais dans la pénombre fraîche de ce matin de mars, Justin était déjà réveillé depuis deux heures, le regard morne fixant un point inexistant au plafond. Il avait l'estomac noué et était frigorifié malgré les épaisses couvertures sous lesquelles il était enfoui.

Il éteignit le réveil et se leva péniblement, chancelant à plusieurs reprises, pris de vertiges. De nouveau il n'avait pas mangé la veille et le contrecoup se faisait une fois de plus ressentir au levé. Après avoir pris appui sur le mur, il se traîna difficilement jusque dans la salle de bain et entra dans la douche. L'eau chaude, presque brûlante, sur sa peau marquée par les plis des draps était le seul moyen qu'il avait pour évacuer les derniers restes d'une nuit bien trop courte, hantée par ses éternels cauchemars.

Une fois habillé, il avala un verre de jus d'orange pour tout petit-déjeuner et s'occupa enfin de celui qui l'observait depuis qu'il était levé.

Son parasite de colocataire était vautré sur le canapé, nu, en train de fumer ses immondes cigarettes. Il ne supportait plus cette présence nuisible.

_ Luc, combien de fois vais-je devoir te dire de t'habiller un minimum et de ne pas fumer cette horreur dans l'appartement, dit-il agacé.

_ Déjà énervé alors que la journée débute à peine ? s'amusa Luc. T'as pensé à elle hein ? ajouta-t-il avec un rictus, le regard étrangement brillant, presque malveillant.

Justin soupira et préféra l'ignorer, retournant dans la salle de bain finir de se préparer.

_ Le temps est venu Justin.

_ Mais de quoi tu me parles ? s'emporta-t-il, excédé.

Mais lorsqu'il fit volte-face, Luc se tenait devant lui. Deux puits d'ombres aux contours ondulants remplaçaient ses habituels yeux saphirs, et pourtant, il semblait le fixer comme s'il scrutait au plus profond de son âme. La partie du salon où ils se tenaient baignait dans d'oppressantes ténèbres, masquant en grande partie la nudité de son colocataire. Des formes indéfinissables se mouvaient à la périphérie de son champ de vision, mais il ne pouvait détourner les yeux du personnage surréaliste devant lui.

_ Tu dois venir avec moi, reprit ce dernier. Le temps est venu.

Sa voix était devenue bien plus grave, gutturale.

Luc le saisit subitement à la gorge et approcha son visage tout près du sien.

_ Le temps est venu, répéta-t-il dans un murmure.

Mais Justin ne l'écoutait plus. Il essayait de se dégager de la poigne du jeune homme, sans réussite. Malgré son jeune âge, et malgré un physique plutôt chétif, Luc possédait une force ahurissante. Justin commençait à avoir des difficultés à respirer et des points noirs tournoyaient devant ses yeux. Luc s'approcha encore plus et lui chuchota à l'oreille :

_ Respire...

Justin prit alors une grande bouffée d'air et retrouva une vision claire de son environnement. Son colocataire était sur le canapé à l'observer de ses yeux bleus. Tout tournait autour de lui, la faim lui nouait l'estomac. Il passa sa main sur son visage émacié. Il était fatigué. Ses joues étaient creusées. D'un regard absent, il examina le salon, mais tout semblait normal. Il jeta un dernier coup d'oeil à l'homme nu sur le canapé puis retourna dans la salle de bain. L'horloge indiquait huit heures quarante. Il était en retard pour aller travailler, comme à son habitude.

Son sac en bandoulière, il mit rapidement ses chaussures et sortit de chez lui en coup de vent. Au moment où il franchit la porte de son immeuble, il vit passer son bus juste devant lui. Justin se fit la remarque que cette journée serait donc pire que les autres. Il aurait pu courir pour peut-être parvenir à monter dedans à temps, mais il n'en avait ni l'envie, ni la force.

Le crépuscule de la haineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant