Anna ou l'illusion d'une illusion

Partie unique

Enfin l'été, le soleil, les vacances et la plage.

Après un hiver rude et interminable, les fleurs ayant bourgeonnées et les oiseaux entamés leur tournée printanière, revêtant la nature de la plus belle de ses parures. Ce paysage qui, autrefois figé par la brise glacière, et recouvert d'un magnifique manteau blanc à l'épaisseur étouffante, renaissait progressivement. Mais l'été avait écourté cet instant, qui maintenant, semblait être l'allégorie d'une illusion. Contempler la nature se dévêtir tout délicatement de son magnifique manteau de feuilles, si fraîches et belles jadis, était le seul spectacle que nous offrait l'été ; le départ lent d'un printemps revigorant, prélude de cette période tant adulée.

Revoici le soleil, astre lumineux et bienveillant distribuant sans retenue sa chaleur bienfaitrice et régénératrice. Revoici le bel astre, mascotte incontestée de cette période spéciale où tout resplendit de mille feux : de la nature, aux visages émerveillés d'écoliers qui ne comptaient guère lésiner à profiter des activités propres à cette saison.

L'été, le temps des amours et des amitiés éphémères : quelques mois pour vivre un film, son propre film, qui parfois s'avérait digne d'une œuvre hollywoodienne. On s'entiche, s'attache et tisse des liens plus ou moins solides, avant de lentement, sinon brutalement revenir à la triste réalité. Cette période dont le départ n'hésite pas à marquer la fin des vacances, arrachant aux yeux d'individus des flaques de larmes exprimant la séparation d'amis et quelquefois la rupture de couples nouvellement formés. Se reverront-ils un jour ? Nul ne le sait.

En ce qui me concerne, cette époque de l'année me renvoie plutôt à une personne, à elle : Anna. Anna, à la silhouette svelte, au visage atypique, et aux traits si fins, si délicats qu'ils ne laissaient personne indifférent. Anna, amie fidèle à l'aura mystérieuse et intrigante. Dans ses yeux dorés, brillaient une lueur indéchiffrable qui suscitait en moi la sombre impression que cette jeune demoiselle dissimulait de profonds secrets, des secrets qu'elle gardait soigneusement, des mots qui demeuraient résolument scellés dans sa prison faite de chair et de sang.

Anna semblait venir d'un autre temps, de vivre à une autre époque, inconnue et extérieure à tous et à tout. Ses vêtements, simples, dénués de toute fantaisie artistique liée à notre temps, épousait parfaitement sa vie d'Hermite, décriaient sans aucun doute son étrangeté. On aurait dit une rêveuse, une rêveuse avec les pieds sur terre. Ça c'était Anna, énigmatique et paradoxale. Un mystère dont la réponse ne tarderait pas, à ma grande surprise, à m'être révélée. 

Cela remonte à l'année dernière, comme vous l'aurez deviné, lors des vacances d'été. Je venais tout juste de réussir ma première année à l'université, marquant ainsi, la fin de mon interminable première année loin des miens, de ma ville natale. C'était donc avec une très grande impatience et un enthousiasme sans égale, que j'avais pris le chemin du retour. La ville se révéla progressivement à l'horizon au bout de quelques heures de route. Rien n'avait changé. Les mêmes voisins, esquissant un sourire contagieux ; la même ambiance chaleureuse au parfum presqu'enivrant ; les maisons et bâtisses fidèles à leurs parures d'antan; sans oublier, ce sentiment familier et doucereux d'être enfin chez soi.

Mes parents m'attendaient patiemment devant la porte de la maison familiale, maison à l'architecture rustique, similaire à celle du voisinage, pour ne pas dire à celle de toute la ville. En gros, tout était demeuré identique ou presque. La vieille maison d'en face était enfin occupée. Occupée par une femme revêtant les traits de celle que j'appellerai bientôt mon amie. C'était une vielle maison croulante et délaissée, appartenant jadis à une vielle dame qui, du jour au lendemain plia bagages et s'enfuit, on ne sait où, en léguant son bien au plus offrant. Cette maison avait vu défiler de nombreux occupants pour finalement demeurée inhabitée.