Elle savait qu'il était dangereux de sortir, cette nuit-là. Mais la tentation était trop forte, la soirée trop belle pour passer une telle opportunité. Le lendemain, jour de Beltaine, elle serait donnée en mariage à un homme qu'elle ne connaissait pas, alors, autant profiter encore de ses quelques instants de liberté.
Avec un soupir, Brighid continua son chemin sur le sentier de la forêt. Elle n'avait pas vraiment peur de se faire emporter par la chasse sauvage – c'était un destin préférable à celui qu'elle connaîtrait le lendemain, selon elle. Elle avait entendu parler de son futur époux et, franchement, elle ne comprenait pas ce que pensaient ses parents, ou même le chef du village. C'était une brute épaisse qui passait plus de temps à saccager tout sur son passage, boire du vin et prendre tout ce qui avait des seins et un vagin. Rien de bien extraordinaire, vraiment.
Ugh ! Arrête de penser à ça... Il faut profiter de cette dernière nuit, tant que je le peux...
Soudain, ses sens se mirent en alerte. Tout autour d'elle, les animaux s'étaient tus. L'air était devenu comme électrique. La brise s'était faite plus forte.
Les poils de ses bras s'étaient hérissés. Elle sentait des frissons parcourir sa colonne vertébrale. Son pouls et sa respiration s'accélérèrent. Étrangement, elle n'était pas apeurée, mais plutôt excitée, comme lorsqu'elle avait enfin pu apprendre à utiliser un arc à flèches, quand elle n'était encore qu'une enfant.
Alors qu'elle pensait que le silence ne s'arrêterait jamais, une brindille craqua quelque part derrière elle. Brighid se retourna rapidement et observa les arbres dans la direction d'où était venu le bruit. Elle ne voyait rien, mais ça ne voulait pas dire qu'elle était seule pour autant.
Puis, lentement, une figure se détacha dans la nuit. Sous la lumière blafarde de la pleine lune, la silhouette d'un homme se dessina. Il était grand et portait une sorte de casque orné de bois de cerfs, selon ce que la jeune femme pouvait voir. Petit à petit, elle put discerner plus de détails de l'homme ; ses épaules larges, son corps musclé, ses longs cheveux bruns, la beauté sauvage de son visage. L'épée à son côté.
Il s'approcha encore, jusqu'à n'être qu'à un pied d'elle, l'observant, la détaillant de son regard perçant. D'aussi près, la jeune femme ne put que s'émerveiller de la beauté de l'inconnu. Ses yeux étaient d'un vert irréel, pâle et profond à la fois. Autour de l'œil gauche se trouvait un tatouage qui descendait sur sa joue. Et ce n'était pas le seul, découvrit-elle quand son regard s'abaissa sur le corps de l'homme. Sur ses pectoraux et autour de ses biceps se trouvaient des motifs délicatement entremêlés.
Son corps lui-même était une œuvre d'art, avec ses muscles dessinés et sa peau dorée. Sa bouche était sensuelle, son nez droit et ses sourcils, légèrement froncés, lui donnaient un côté légèrement primitif qui faisait se serrer le ventre de Brighid. Et son regard...
Il la scrutait comme s'il voulait la dévorer.
- Qui êtes-vous ? murmura la villageoise, le souffle court.
- Ton nom d'abord.
Sa voix était comme du velours pour les oreilles de la villageoise. Profonde, masculine, chaude. Son accent était étrange, un peu guttural.
- Brighid.
- Ah... Brighid.
Son nom roula sur la langue de l'inconnu comme une promesse. C'était une invitation, mais à quoi ?
- Et vous ?
À cela, il sourit.
- On me donne plusieurs noms. Je ne sais pas lequel te satisferait.
Elle eut un nouveau frisson. Son souffle s'accéléra encore. Ses lèvres s'entrouvrirent. Que lui arrivait-il ?
- Vous n'êtes pas Pwyl...
Si c'était lui, alors ce qu'on racontait sur son futur époux était complètement faux.
- Pwyl ? Qui est-ce ?
- Mon promis.
Il grogna, comme irrité.
- Quand...
Il ne finit pas sa phrase, laissant la question se dissiper dans l'air délicat du printemps.
- Demain.
- Hmmm...
Son regard la chercha. Il voyait en elle, elle en était sûre.
- Je ne veux pas de lui.
Il arqua un sourcil. Elle rougit.
- Alors que désires-tu, Brighid ?
- La liberté.
Il n'y eut aucune hésitation de la part de la jeune femme. Elle avait toujours rêvé de partir à l'aventure, de vivre mille et une vies, comme dans les récits des bardes. Mais elle n'était qu'une femme dans un village contrôlé par des hommes.
Il sourit.
- Je ne connais toujours pas votre nom.
Il continua de sourire. L'effet était dévastateur. Les jambes de la jeune femme commencèrent à trembler, son bas-ventre se serra involontairement. Elle avait envie de gémir.
- Appelle-moi Arawn.
Son souffle se coupa. Ses yeux s'écarquillèrent. Arawn ? Certes, ce n'était pas un nom rare, mais, se pouvait-il ?
Brighid commença à scruter l'homme. Des cornes de cerf. Le torse nu. Le torque en or gravé. Les brêts. Les tatouages. Sa peau, ses cheveux et ses yeux dont les couleurs appelaient la nature.
- Herne, soupira la jeune femme.
Le sourire d'Arawn s'élargit. Il s'approcha encore, jusqu'à n'être qu'à être séparé d'elle par à peine un pouce. Il baissa la tête, huma le parfum de ses cheveux, se baissa encore et murmura, tout près de son oreille : « Je peux te donner ce que tu désires, belle Brighid. Accepterais-tu de me suivre ? »
La jeune villageoise, le cœur dans la gorge, acquiesça avec hésitation. Elle suivrait Arawn – Herne, le meneur de la Chasse, Cernunnos, le dieu cornu – où qu'il la mène. C'était plus fou encore que de survivre seule dans la forêt ou se faire tuer par des bandits.
Ce soir-là, dans le village, tout le petit peuple se terra chez lui, apeuré, tandis qu'on entendait au loin le bruit de la Chasse sauvage.
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Rencontres mythiques
FantasíaChaque histoire courte de ce petit recueil présente la rencontre d'une figure féminine et le surnaturel. Parfois humaine, parfois un mythe elle-même, chaque femme se heurte aux mythes de son époque et de sa société. Attention aux lecteurs plus jeune...