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— Mais qu'est ce que tu lui as fait ?

— Rien du tout.

— Je ne t'ai pas demandé de me l'amener dans cet état.

— Mais je n'y suis pour rien ! 

J'ouvris doucement les yeux. Des voix venant de l'extérieur réussissaient à se frayer un chemin jusqu'à mon cerveau encore engourdi. Au fur et à mesure qu'elles parlaient, je les entendais se rapprocher. Et bien qu'encore lointaines, elles m'étaient familières. Je devais les avoir déjà entendues, mais où ? J'avais du mal à le savoir.
Je me trouvais sur ce qui semblait être un... divan. Oui, un divan rouge, qui faisait tâche dans le reste d'un décor qui n'osait pas sortir de la simplicité. Les murs étaient tapissés d'une couleur qu'on pouvait rapprocher à un blanc cassé, et le reste du mobilier avait gardé sa couleur de bois naturel.
 Je m'assis sur le côté du divan et attendis patiemment que les voix daignent enfin traverser l'entrée. 

La poignée de la porte pivota. Et les propriétaires des voix apparurent.
Une vieille dame aux traits anguleux et au tailleur inoubliable franchit le seuil de la pièce.

— Ah ! Ma chère Louise, vous voilà enfin réveillée. Mais que mon fils vous a-t-il bien fait pour que je vous retrouve dans cet état ?

Deux choses justifiaient mon embarras à ce moment là : d'une part, je n'étais pas au courant que le fonction de Gouvernante permettait d'avoir des enfants. Et d'autre part, elle avait parler avec un enthousiasme extravagant qui n'était pas nécessaire –même déconseillé– lorsque l'on parle à une personne qui vient de se réveiller.
Deux choses agressives pour ma tête congestionnée.
Mes yeux clignairent trois fois pour finir d'évacuer la buée qui m'encombrait le cerveaux.

— Je suis désolée madame, je n'ai pas vu votre fils, répondis-je poliment.

Derrière elle arriva alors une silhouette aux épaules carrées et à l'attitude sereine. Mon cœur fit un bond dans ma poitrine. Je reconnu aussitôt le garçon de la passoire, le même qui était venu me chercher dans la salle d'examen.
Il était donc le fils de la Gouvernante. Pas étonnant qu'il se soit permis un tel comportement.

— Mais je n'ai rien fait ! Se défendit le jeune homme. Dis lui, toi ! M'ordonna t'il en me suppliant sur regard.

J'hésitai quelques secondes.

Bah alors, où est passée ta confiance

 Évidemment qu'il ne m'avait rien fait dans cet ascenseur. Si on oubliait son attitude méprisable qui me tapait sur les nerfs. Mais au delà de ça, j'avais face à moi l'opportunité de me plaindre à sa chère petite mère, qui n'était pas des moindres.

— Alors ? S'impatienta la Gouvernante.

— Non madame, il ne m'a rien fait.

Mais qu'est-ce qui m'a pris ! 

L'occasion en or venait de s'envoler. Pourquoi ? Visiblement, me voir débarquer dans les pommes n'était pas dans les plans de la Gouvernante. Sa réaction lorsque son insupportable fils a dû lui annoncé que j'avais fait un malaise dans la cabine d'ascenseur devait être mémorable. Cette pensée me suffisait. Et je ne devais pas oublié que je passais mon test.

Sois irréprochable.

 — Elle doit avoir le vertige ou un truc comme ça, se justifiait t'il.

— Bon, répondit-elle peu convaincue. Il faudra penser à soigner ça, c'est extrêmement contrariant. Si vous le souhaitez, nous avons quelques spécialistes au sein du Directoire qui ont sûrement la capacité de vous aider.

Elle vint s'asseoir à côté de moi et posa sa main délicatement sur mon dos avant de continuer :

 — Mais avant, nous avons à parler.

Il y avait quelque chose dans son attitude que je n'avais pas vu lorsqu'elle s'adressait à nous tous depuis son estrade. Cette nouvelle proximité m'avait permis de percevoir à quel point ses gestes étaient maternels. Elle dégageait une sorte d'assurance qui nous permettait de croire qu'on pouvait lui donner notre entière confiance.

Mais je crois que c'est justement cela, qui me mettait mal à l'aise.

*

J'étais assise, les mains sur les genoux, me tenant aussi droite que mon dos me le permettait. À présent, seul son bureau de bois craquelé nous séparait.
Sa carrure intimidante trônait fasse à moi, une tasse de thé fumante à la main. Une odeur de citron trop sucrée en sortait pour atteindre mes narines tremblantes. Elle m'avait demandé si j'en voulais une moi aussi. Mais je l'avais poliment refusée. J'étais tellement tendue que j'aurai était incapable d'en boire la moindre gorgée. Et puis, l'odeur qui en sortait était assez écoeurante pour me dissuader d'en introduire sur mon palet.

Son fils attendait lui patiemment au niveau de mon ancienne place sur le divan. Je sentais son regard insistant me brûler le dos. Mais je ne me retournai pas, trop occupée à essayer de contenir mon stress.

J'eus un sursaut au moment où la Gouvernante toussa deux coups, un poing devant sa bouche pour s'éclaircir la voix. Elle posa sa tasse et commença enfin :

— Vous devez vous demander la raison de votre venue ici. Mais avant que je vous ne l'explique, je veux que vous me rappeliez pourquoi notre Système a été mis en place, Louise.

À partir du moment où la Gouvernante m'avait invitée à m'asseoir à son bureau, j'avais commencé à imaginer la discussion qu'on aurait sûrement. Histoire de ne pas être prise au dépourvue et pouvoir lui répondre sans trop réfléchir. Mais apparemment ma tentative venait de rater lamentablement. Je ne m'attendais pas du tout à cette question. Elle me demandait de lui expliquer une chose à laquelle n'importe quel individu encore vivant pouvait répondre. Oui, le fait d'être mort était la seule excuse qui permettait à quelqu'un de ne pas connaître l'explication.

Mais j'avais peur de me tromper. J'avais peur de faire un pas de travers. 

Mon père, une fois n'avait pas dit exactement ce qu'on attendait de lui. Et il a été exclu. Peut-être était-ce pour cela que la Gouvernante me posait cette question. Pour qu'elle soit sûre que je ne reprenne pas les idées de mon père.

  J'avalai timidement ma salive, espérant gagner du temps pour réfléchir à la façon dont j'allai m'adresser à elle.

Three Thousand OneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant