Fols Masqués (7) - Renwyck

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Renwyck finissait d'empaqueter de petits sachets de lin soigneusement étiquetés. À côté de lui, Lasica les plaçait les uns après les autres dans la maie où l'on rangeait les herbes. Les mains occupées à cette tâche machinale, Renwyck avait tout loisir de repenser aux événements de la semaine passée. Ces jours étranges qui avaient suivi le festival des Fols Masqués. Les oublierait-il un jour ?

        Dagarkin avait survécu. Comme Renwyck l'avait escompté, son empoisonnement fut l'affaire d'une nuit de repos sous bonne garde. Le prince s'était réveillé plein de vigueur et avait aussitôt entrepris de démêler les détails de cette tentative d'assassinat. Cette nuit-là, après le banquet, Renwyck, Lasica et Akhbar avaient été conviés à passer la nuit au palais. C'était le genre d'invitation qui ne trompait personne : les trois Magians étaient prisonniers de la garde. On ne les conduisit pas aux cachots, mais dans une grande chambre de la demeure royale. Ils étaient enfermés à clef. Tous trois sentirent que les prochaines heures, les prochains jours, seraient cruciaux. Conscients de l'importance de leurs moindres faits et gestes, ils décidèrent de ne pas tenter de s'enfuir alors que le Secret le leur aurait peut-être permis.

        Le lendemain matin, on vint les trouver de bonne heure. Les gardes les guidèrent au travers du palais de la Citadelle. Malgré la menace d'un procès dont ils ne réchapperaient peut-être pas, Renwyck ne put s'empêcher d'admirer l'incroyable décor qu'ils traversèrent. Les galeries se succédaient, expositions pleines de superbe des richesses royales. À tous les murs pendaient de grandes tapisseries : scènes de chasse, exploits guerriers et illustrations courtoises, brodées de fils d'or ou d'argent. D'épais tapis moelleux recouvraient le sol. Des meubles précieux étaient couverts de vases remplis de fleurs. Partout, l'épervier et la lanterne étaient rappelés. Ici était la demeure de la Famille Royale d'Ael, personne ne pouvait en douter. Renwyck n'en revenait pas. Faisait-il vraiment partie de ce royaume riche et opulent ? Tout au Château de Nacre était si éloigné de Rivebois ! Comment une reine pouvait-elle régner sur une nation si disparate ? En tout cas, elle dirigeait là une petite armée. Dans ce palais se produisait une farandole de domestiques en livrée dorée qui transportaient du linge ou de l'argenterie. Renwyck n'en croyait pas ses yeux. Qui avait besoin de tant de serviteurs ? Tous ces gens travaillaient-ils ainsi tous les jours ? Sur leur passage, ces valets et femmes de chambre les lorgnaient d'un œil maussade ou curieux. Savaient-ils que la vie de leur prince avait reposé entre leurs mains ? Cela pouvait-il changer leur opinion sur les Magians ?

        Renwyck, Lasica et Akhbar furent conduits dans une pièce si grande qu'on aurait pu y faire rentrer plusieurs fois l'atelier de l'herboristerie. Ils découvrirent un tribunal où on les fit se placer entre des sentinelles. En face de la porte, derrière un majestueux bureau aux boiseries évoquant le rapace royal, siégeait la reine Selma. Le prince Dagarkin était assis à sa droite. À leurs côtés étaient présents de hauts dignitaires de la cour dont Renwyck ne connaissait ni les noms ni les titres. Certains portaient l'habit jaune du Culte et parmi eux se trouvait Zanamros. Arashi était présent, escorté lui aussi d'un soldat. Les trois Magians furent installés sur des sièges de brocart. Le prince Tarlon entra à son tour et fut conduit sur une chaire en évidence. Renwyck comprit que c'était là la place de l'accusé. Il respira mieux. Ce n'était pas leur procès qui allait prendre place !

    Ce ne fut pas un moment agréable.

    De témoignages en accusations, de dénis en pleurs, la complexité du complot fut démêlée petit à petit. Renwyck n'avait été l'acteur que de la dernière partie d'une intrigue de plusieurs semaines. Tarlon et ses complices avaient échafaudé de nombreux plans pour affaiblir le prince héritier, à la cour comme en privé. L'empoisonnement n'était que la résolution d'un plan de sape trop lent aux yeux d'un frère cadet ambitieux. Renwyck avait fait la connaissance de Dagarkin dans un moment de faiblesse extrême ; il put découvrir le prince héritier dans toute sa splendeur. C'était un homme au charisme fascinant, éduqué à commander les volontés et à diriger les ardeurs, ce qu'il faisait sans avoir recourt à la force. Cet homme ferait un monarque remarquable. Il en avait l'étoffe.

    À l'inverse, dans la chaire de l'accusé, Tarlon paraissait bien méprisable. Sous la volonté de fer de son aîné, le déni de Tarlon fut brisé. Un à un, les noms des conjurés tombèrent. Un à un, les complices furent démasqués. Les choses s'échauffèrent lorsque vint le tour du Grand Prêtre Zanamros. Le cœur de Renwyck manqua un battement à la mention d'Arashi. Tarlon, dans sa chute, allait entraîner tous ceux qui l'avaient aidé. Le jeune prêtre avait fourni le poison, ce qui le plaçait en position de complice de premier ordre.

    Renwyck n'avait toujours pas clarifié son sentiment au sujet d'Arashi. Le jeune homme était un Magian comme lui et il les avait grandement aidés au péril de sa propre vie. Au moindre soupçon de duplicité, Arashi aurait reçu une peine exemplaire. Pourtant, Renwyck était déchiré. Le jeune prêtre avait torturé des innocents pour préserver sa couverture et gravir les échelons du Culte. Ces choix terribles étaient-ils acceptables au nom d'une plus grande cause ? Aucune fin n'excusait des méthodes aussi horribles. Renwyck fit cependant tout ce qui était en son pouvoir quand la parole leur fut donnée pour innocenter Arashi.

    Le procès dura plusieurs jours. On ne laissait toujours pas Renwyck et ses compagnons quitter la Citadelle. Peut-être le prince Dagarkin craignait-il de ne jamais les retrouver. Les gardes ne révélaient aucune information sur les suites des témoignages. Exaspéré par ce silence, Akhbar avait fini par utiliser le Secret pour se tenir au courant des événements. Le druide était capable de converser avec les animaux. En utilisant ce drôle de réseau d'informateurs — rongeurs, moineaux et hirondelles nichant dans les tours —, il était au courant de toutes sortes de rumeurs. Renwyck n'entendait que couinements, pépiements et gazouillis, mais Akhbar hochait la tête d'un air pensif dès qu'une souris lui adressait le museau. Le bruit courait que la reine Selma abdiquerait en faveur de Dagarkin. L'annonce serait faite dans les jours à venir. Ensuite, les préparatifs commenceraient pour le couronnement du nouveau souverain.

    Le quatrième jour, Renwyck, Lasica et Akhbar furent à nouveau convoqués pour une audience royale. Enfin, ils allaient connaître le fin mot de l'histoire. Renwyck espérait que la vérité avait pu être entendue et acceptée malgré son étrangeté. Il aurait voulu qu'Aulirath se joignît à eux, mais les trois Magians n'avaient pas trouvé le moyen de communiquer avec la devineresse. Ils avaient été complètement coupés des autres membres de la communauté depuis le banquet.

    En silence, des gardes les escortèrent à nouveau à travers les couloirs du palais. On les fit suivre un itinéraire différent, dans une tension certaine. Les gardes auraient sans doute préféré jeter les Magians aux cachots. Peut-être avaient-ils peur d'eux et de leurs pouvoirs monstrueux.

    Ils arrivèrent à un grand vestibule où les attendait Arashi, devant de larges portes. Renwyck était bouche bée. Les battants étaient immenses, comme pour permettre le passage d'un dragon. Richement sculptés, ils reproduisaient la silhouette de la Citadelle et ses plus fameux bâtiments. Alors qu'ils attendaient, Akhbar en profita pour leur donner ses dernières instructions :

    — Bon, souffla-t-il discrètement, c'est notre moment de vérité. Mon objectif, c'est de vous sortir vivants de ce bourbier.

    Renwyck n'était pas d'accord : il n'était pas seulement question de s'échapper de la Citadelle en vie !

    — C'est sûrement notre seule chance d'obtenir une audience auprès de Dagarkin, fit-il remarquer. Nous devrions en profiter pour...

    — Non, non, non, mon garçon, l'interrompit Akhbar. Je ne veux pas qu'il vous arrive malheur à Lasica, Arashi et toi. Aulirath et moi parlerons à Dagarkin quand il sera roi.

    Renwyck fronça les sourcils. L'heure n'était pas à la procrastination.

    — Nous avons été bien traités jusqu'ici, insista-t-il.

    — Mais ça ne durera peut-être pas ! Je pense qu'il vaudrait mieux que vous me laissiez parler.

        Lasica acquiesça sans un mot, imitée par Arashi, mais Renwyck n'était pas satisfait. Il se sentait même méprisé par Akhbar qui les infantilisait. Renwyck n'avait nullement l'intention de finir en martyr, mais les enjeux de cette audience dépassaient leur situation personnelle. Décidément, il regrettait l'absence d'Aulirath. Elle aurait tenté sa chance avec le prince. Renwyck ne put argumenter davantage : la grande porte s'ouvrit.

L'Herboriste - Les Thaumaturges IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant