Fols Masqués (11) - Renwyck

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Le lendemain soir, Renwyck trouva Akhbar affairé dans la salle d'étude. La pièce était éclairée par des chandelles de suif. Il y régnait une désagréable odeur de graisse brûlée. Le druide consultait un long rouleau. Sa tête était penchée si proche des écritures que sa barbe épaisse en touchait le parchemin.

— Akhbar ? tenta Renwyck en prenant place à la table d'étude.

Son compagnon l'invita à poursuivre d'un grognement, sans pour autant lever les yeux.

— Je pense que mon séjour au Château de Nacre touche à sa fin. Il est temps pour moi de poursuivre mon voyage.

— Je suis tout à fait d'accord mon garçon, acquiesça Akhbar sans quitter du regard son parchemin. Je voulais justement t'organiser un passage pour La Griffe. Je pense que la meilleure option serait de t'envoyer jusqu'à Esengel. De là, tu pourras trouver un navire pour le Neyem, la mer est bonne en cette saison et...

— Je ne vais pas à La Griffe, l'interrompit Renwyck.

Akhbar daigna enfin le regarder en face. Ses sourcils broussailleux étaient froncés au point de ne former qu'une ligne unique.

— Comment ça ?

Il évoquait un animal de la forêt, sévère et pas tout à fait apte à la conversation.

— Je vais accompagner Arashi dans son voyage pour me rendre à Prustina, énonça calmement Renwyck.

— C'est insensé ! s'emporta violemment le druide. Tu dois te rendre aux collèges magians pour y apprendre le Secret !

Renwyck tiqua. Il avait redouté que la conversation ne prît cette tournure, mais il était bien décidé à ne pas céder. Akhbar n'avait aucune légitimité pour décider à sa place de ce qu'il convenait de faire.

— Je pourrai me rendre à La Griffe plus tard. Je suis déjà herboriste.

— Foutaises ! balaya Akhbar non sans une certaine cruauté. Tu ne connais rien des Toiles ni du monde. C'est à La Griffe que tu dois te rendre pour t'instruire mon garçon.

— Cela fait longtemps que je ne suis plus un garçon, répliqua froidement Renwyck.

Ils se dévisagèrent un instant avec intensité, chacun refusant de céder devant l'autre.

— Écoute-moi bien Renwyck, moi aussi j'ai eu ton âge et j'ai désiré n'en faire qu'à ma tête.

— Je ne suis pas toi, Akhbar. Et je ne suis pas ton fils.

Un silence lourd suivit cette réplique. Le cœur de Renwyck battait si fort qu'il lui sembla qu'il finirait par jaillir de sa poitrine. Il se sentait rempli d'une fièvre brûlante, à mi-chemin entre la colère et la honte. Ses mots à lui aussi étaient cruels. Pourtant, il continua :

— Lorsque le temps sera venu, je me rendrai à La Griffe. Mais auparavant, je dois suivre ma prophétie. La prophétie que toi, Akhbar, tu m'as donnée. Je dois rencontrer Hesod.

Le druide secoua la tête.

— C'est de la folie, maugréa-t-il.

Renwyck sentait qu'une digue avait faibli. Il ne dit rien et resta fermement campé sur ses positions.

— Je devrais t'envoyer auprès de Sans-Âge plutôt, dit Akhbar. Tu es important, Renwyck, ajouta-t-il avec une certaine urgence dans la voix.

Renwyck ne comprit pas ses paroles.

— Qu'est-ce que ça signifie ? s'agaça-t-il.

— Je ne sais pas, avoua Akhbar avec amertume.

Renwyck sentit qu'il se jouait là quelque chose de crucial pour le druide. Pour une raison inconnue, le destin de Renwyck comptait à ses yeux, voire même lui pesait. Cependant, tant qu'il n'expliquait pas ses motivations et ses intentions, Renwyck ne plierait pas.

— Akhbar, je vais voyager avec Arashi jusqu'à Prustina, que tu le veuilles ou non, trancha-t-il. À toi de décider si tu souhaites m'aider à rencontrer Hesod. Tu m'as dit que tu le connaissais, que c'était un prêtre de Llinwonyo comme toi.

Jurant à loisir, Akhbar baissa la tête vers son parchemin, mais il ne le regardait pas vraiment. Il grommelait indistinctement. Il saisit avec une certaine violence une plume, de l'encre et un morceau de parchemin. Il y inscrivit quelques lignes puis roula le document avant de manipuler les Toiles. Un sceau apparut sur la missive.

— Hesod saura comment l'ouvrir, grogna le prêtre.

— Merci, répondit froidement Renwyck en saisissant le parchemin.

Il sortit de la pièce sans un mot de plus, furieux et en proie à un malaise grandissant. Il secoua la tête. Au matin, il partirait avec Arashi et suivrait sa prophétie. Il fallait maintenant rassembler ses affaires, s'assurer qu'il ne manquait rien dans sa besace.

Quand il entra dans le dortoir où il était seul à dormir, Lasica l'attendait. La jeune prêtresse lui adressa un sourire. Elle semblait lui dire quelque chose, mais Renwyck connaissait encore mal ce langage-là. Pourtant, il savait très bien dans quel genre de danse ils s'étaient engagés tous les deux depuis quelques jours. Avec des gestes lents, elle se déshabilla. Le cœur battant, un peu étourdi, Renwyck la rejoignit sur la couche. Peu à peu, il se laissa gagner par l'enthousiasme de sa compagne. C'était une belle façon de se dire adieu.

L'Herboriste - Les Thaumaturges IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant