Le Nouveau Monde

Mon ami,

C'est probablement la dernière lettre que tu recevras de moi. Après tant d'efforts, de résilience, d'abnégation de notre part, rien n'y fait. Notre planète va mourir, et ce par leur faute. Les astres, les autres planètes, la matière se rebellent. L'espace a été pollué par des satellites, des débris, des hommes tentant de coloniser, encore et toujours, tout ce qu'ils pensaient à portée.

Aujourd'hui, j'ai vu, si proche et si lointain, un projectile énorme se diriger vers la Terre. Toute la force des Anciens ne pourrait le stopper. Toute la magie que nous avons accumulée, au fil du temps, ne pourrait le stopper. Nous sommes trop peu nombreux. La Nature a été détruite par les Nouveaux, ces idiots pensant être omniscient mais qui ne pensent qu'à leur petite personne, ne savent que ce qui leur rapporte de l'argent. Ce sont ces personnes exécrables qui nous ont conduits à cette situation désespérée, inéluctable, irréversible. Et ce sont eux, misérables inconscients, qui ont conduit à la dégénérescence des Anciens.

Ils ont rasé des villes, brulé des champs, pillé des ressources pour leur profit. Ils ont profité des personnes dans le besoin, se sont servis d'eux et les ont tués à la tâche pour mieux tuer l'avenir. Comment se débarrasser d'eux ? C'est cette question que je me pose depuis notre dernier échange. Tu m'as dit : « Si le peuple bon s'unit, tout est possible. » Alors, comment unir le peuple ?

Toute notre magie s'amenuise. Les Anciens puisent leur force dans celle de la Terre, et notre chère planète bleue s'affaiblit. Si la Terre ne peut plus se battre, ce sont ses enfants qui devront se battre pour elle. Nous devons rassembler toutes nos forces, et combattre sur tous les fronts. Il ne suffit pas de dire les choses, il faut agir. Ce sont nos actes et pas nos paroles qui nous définissent. Vais-je vraiment attendre patiemment l'extinction de mon espèce ?

Aujourd'hui, j'ai réalisé que je devais utiliser ma magie pour tous nous unir. En tant que Maître parmi les Maîtres, j'y laisserai ma vie s'il le faut. Je dois faire comprendre aux gens qui ne savent pas. Je dois montrer aux gens qui ne voient pas. Je dois libérer les gens qui ne bougent pas. Je dois mourir pour que les gens vivent. Ou plutôt revivent.

Les eaux usées, la chaleur insoutenable, le froid glacial, l'air irrespirable, les cataclysmes... Le peuple ne peut plus vivre, il survit. La magie s'est perdue à travers les âges, et je vais la restituer au monde. Tous ceux dont l'esprit n'a pas été pollué par les directives des Nouveaux auront une chance de s'éveiller, de voir le monde tel qu'il doit être, tel qu'il était, tel qu'il pourrait à nouveau être.

Si ces élus unissent leur force à celle des Anciens, je suis certain qu'il est encore temps de sauver cette Terre. Je ne suis qu'un vieillard aigri par mes mauvaises décisions. J'ai trop décidé de penser au lieu d'agir. Ce temps est révolu. Je transmettrai mon savoir au prix de ma vie, car c'est le prix à payer pour avoir été un lâche trop longtemps. Je ne verrai jamais le fruit de mon existence, mais j'espère que son goût ne sera pas amer. J'espère que ce fruit sera doux et sucré, fruit d'émerveillement et de joie, fruit de passion et d'espoir. Je veux que ce fruit soit sensible au premier vrai regard que j'ai porté sur cette Terre. Quand nos yeux s'ouvrent réellement, on voit bien davantage.

Je ne blâme pas ceux qui ne voient pas, il ne peut en être autrement. Ils ont été forgés par les Nouveaux, encapsulés dans un monde qu'ils ne comprennent que par ce qu'on leur dit de lui, mais ne posent pas de questions... Les Nouveaux sont nombreux, mais le peuple est plus nombreux. S'ils se posaient les bonnes questions, cela les conduirait sans doute à questionner les Nouveaux. Leurs motivations, leurs pouvoirs, leurs possessions... D'où viennent-ils ? Comment les ont-ils obtenus ? Comment les Anciens ont-ils été destitués ?

Ils ont tué, pillé, profané, dénaturé autant de vies, de terres, de lieux sacrés, de paysages qu'il fallait pour accéder au pouvoir. Les Anciens et leur respect inébranlable ont perdu les capacités qu'ils puisaient dans ces sources vitales, en communion avec celles-ci.

Mon ami, tu ne recevras plus de lettres de moi, mais tu recevras bientôt quelque chose de bien plus précieux. Tu recevras mon savoir et les peurs qu'il renferme, mes pouvoirs et les doutes qu'ils contiennent, mes devoirs, et la force qui les soutiennent. Tu ne seras pas seul. Cherche tes semblables, ouvrez les yeux à ceux qui ne voient pas. Ta jeunesse et ta fougue, ton statut et ton charisme, ta droiture et ton courage te serviront dans ton entreprise.

Jeune prince, ne te laisse pas berner par les Nouveaux. Tu dois apprendre à combattre intelligemment ceux qui se dressent sur ton chemin, et n'oublie jamais tes objectifs. La survie de ton peuple en dépend. Nos correspondances m'ont fait comprendre que tu étais notre seul espoir, le seul qui pouvait nous sauver. L'Enfant-Roi que les Anciens attendent depuis si longtemps.

Ton destin est entre tes mains. Bâtis ce Nouveau Monde dont tu as tant rêvé.

Adieu.