Comme Hadès aux enferts il régnait...

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Comme Hadès aux enferts il régnait, fier et heureux de l'être. Il a un jour décidé de montrer un peu de respect.

Je n'ai jamais pu le voir, j'ai rendu l'âme à 14 ans. C'était mon père, mon sang, ma chair, je l'ai laissé dans le brouillard et dans l'ignorance. Je ne l'ai jamais voulu. Il a montré du respect pour moi, le fruit de ses entrailles. Ma mère a pleuré, mon père m'a respecté...

Je n'ai jamais voulu partir mais je n'ai pas pu rester. J'en avait assez de résister à l'attraction de cette lumière vive, chaleureuse, emblème de paix. Depuis longtemps je voulais les rejoindre ces gents heureux... Je voulus rester avec ma famille, mais la lumière m'attirait. Je ne voulais pas les déranger plus longtemps avec mes histoires, mes conneries. Ce ne sont que mes parents, je n'ai rien choisi. Ils ne doivent pas m'en vouloir.

Mon père en particulier ne m'a jamais vu. Il nous a abandonné pour se battre, se battre pour la paix. Pour cela je le respecte mais je le hais de nous avoir laissé tomber. Nous avons dû nous battre chaque jour avec ma mère pour survivre à la famine. Nous ne pouvions faire autrement. J'étais jeune et faible, je ne faisait rien de concret.

Un jour j'ai décidé de me sacrifier. C'était le jour où mon père est rentré. Je suis allée dans la forêt pour chercher à manger mais je me suis trompée et me suis perdue loin, très loin dans la campagne. C'est mon père qui m'a retrouvé dans un champ de blé doré. Il ne m'a pas reconnu. J'avais deux mois et demi quand cet ingrat est parti.

Il avait le choix de rester car il était paysan. Il s'en est quand même allé. Vous imaginez, quatorze années privé de son paternel... Privé de son père ? Je ne pouvais vivre sans ma mère. Et si elle était tombée malade ? Je ne puis y songer...  Et si j'étais morte avant, dieu seul sait ce qu'elle aurait fait ou tenté ! Tout cela je le sais car de là haut j'observe, je scrute... je vois ma mère sangloter tous les jours, mon père essayer de mettre de l'ordre dans ses pensées...

J'ai envie de leur crier : "Vivez, faites votre vie ! Ne vivez pas dans le regret ! Ne soyez pas tristes, vous vous êtes retrouvés !" Je ne sais ce que j'aurais fait si j'avais connu mon père avant ma mort... L'aurai-je insulté, câliné, embrassé, évité ? Je n'en sais rien. J'aurais voulu le savoir mais où je suis je n'y pense plus.

Comme Hadès aux enferts il régnait sur toutes mes pensées... Il régnera toujours dessus mais je suis morte. Ils ne doivent plus y penser.

Même si ils le veulent, ils ne pourront pas toujours vivre avec moi. Je ne suis plus là. Il faut qu'ils oublient, qu'ils effacent toutes ces pensées négatives. Je ne veux pas qu'ils m'oublient, moi, leur enfant, non, bien entendu ! Mais j'aimerais qu'ils oublient leur terreur à l'idée que je sois malheureuse. Je vis, ou plutôt je meurs en paix maintenant.

Depuis quelques temps je pense qu'ils devraient avoir un autre enfant. Non pas un remplaçant, certainement pas, juste un lien entre le passé, le présent et l'avenir. Mon vœu a été exaucé. Lola ils l'ont appelé. Elle ne me remplacera jamais, je le sais, mais elle va combler le vide évident que j'ai laissé.

Le jour de sa naissance ils ne l'ont pas fêté et j'en suis désolée. Elle est née dans un champ de blé, ma mère y tenait. De l'endroit où j'étais, j'ai tout observé. Elle était belle et mon père pleurait. Il pleurait de tristesse je le sais. À ce moment il s'est rappelé ce jour, celui de mes quatorze années. J'en suis sûre mais il a été très compréhensif et a camouflé sa tristesse en joie épanouie. Ma mère a eu es doutes car mon père n'a jamais pleuré de sa vie.

Quand la petite est née elle n'a pas pleuré, pas braillé, pas hurlé, pas chanté, pas gazouillé. Rien. Elle n'a fait qu'ouvrir les paupières et les observer tous les deux. Elle a ouvert ses yeux sur le monde comme je les avais fermés il y a quelques temps maintenant. Je savais d'instinct que j'allais moi aussi pleurer et je me suis laissée aller. Sur un nuage bien douillet mes larmes ont coulées et ont déversées sur mes parents et ma petite sœur une belle pluie fine et dorée.

Je ne pouvais détacher mon regard enivré de ce petit bout de fille qui allait, je le savais, devenir maitre de mes pensées. Comme Hadès aux enferts elle régnait sur toutes mes pensées.

Je les ai aimés mes parents, plus que tout au monde, mais cette fillette, je l'adorais. Je la voyais évoluer comme je l'aurais vu si j'avais été en bas mais je ne regrette pas d'être montée. Avec le temps, leurs malheurs se sont estompés... Mais jamais ce souvenir ne les a quitté. J'ai mûri moi aussi à force de les voir aimer et s'aimer. J'ai appris et j'ai compris. Ce n'est pas donné à tout le monde mais j'ai compris.

Un jour ma mère m'a dit que mon père allait rentrer et qu'il ne fallait pas s'inquiéter. Elle ne m'a pas menti, elle a juste puisé dans ses espérances une réponse à me donner. Grâce à elle, je ne me suis jamais inquiétée. Le jour de ma mort, ma dernière pensée a été pour lui, pour ce père absent que je n'avais jamais vu. On ne me l'avais même jamais décrit... J'avais l'impression que me mère tenait à l'oublier mais elle n'a jamais réussi. Et moi non plus... 

Je me souviens également qu'à mes huit ans elle m'avait fait une part de gâteau car, à cette période nous ne manquions pas de grand chose à part d'une présence masculine. J'ai posé ma première question sur mon père : Ai-je un papa ? Et la réponse a été mon plus beau cadeau d'anniversaire : Chérie, tout le monde a un père, même toi... Là j'ai compris qu'elle ne me mentirait jamais.

Alors lorsque je l'ai vu mentir à Lola pendant une partie de cache-cache en lui disant qu'elle n'avait pas vu papa, j'ai compris mon erreur. Mon erreur n'était pas d'en vouloir à mon père, non, c'était de croire qu'il ne m'avait jamais aimé.

Comme Hadès aux enferts, il a repris les rênes de mes pensées...

Comme Hadès aux enfertsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant