CHAPITRE 16

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Cela faisait des années que je n'avais pas entendu ces mots : « ton père ». La nouvelle me débranche le cerveau, comme à chaque fois que je perds mon sang froid. Mon instant d'égarement me fait réaliser que Diane a un délicieux accent semblable à ceux des pays de l'Est et roule les « r ». Je trouve ça super sexy.

- Mon père est mort, m'entends-je affirmer d'un ton détaché en observant le décor au-dessus des épis blonds de Jas.

Jason se passe nerveusement la main dans les cheveux.

- Oui, c'est exact. Mais il était des nôtres avant de disparaître.

- Mon père s'appelait Gabriel, argumenté-je encore.

Jas laisse retomber ses bras le long de son corps et me fixe, m'obligeant à plonger mon regard dans ses yeux bruns.

- Je sais. Mais ici, son nom était Ulysse.

Je me pince l'arrête du nez puis secoue la tête. Jas me propose de me rendre dans un endroit plus intime. J'accepte sans trop réfléchir, ayant besoin de calme. 

Le viking nous emboîte le pas, suivit de près par un jeune homme aux boucles châtains et aux yeux bleus. Nous fendons la foule qui chuchote en s'écartant sur notre passage. La pièce est réellement exiguë et sa disposition ne fait que ralentir notre progression. Des tables et des chaises rembourrées par des coussins rouges, fixées sur le sol, sont réparties en arc de cercle, autorisant ses occupants à échanger entre eux mais également à écouter le discours d'une personne qui se tiendrait sur l'estrade autour de laquelle le mobilier est disposé. Un épais rideau de velours bordeaux coupe l'estrade et se prolonge sur les côtés, jusqu'à effleurer les sièges placés sur les bords de l'arc de cercle. C'est vers ce rideau que nous nous dirigeons.

Jas grimpe d'un bond souple sur la scène, haute d'un bon mètre et fait glisser sa main le long du rideau rouge, jusqu'à en trouver l'ouverture. Il sépare les deux pans de tissu et m'invite à passer de l'autre côté. Je m'exécute, soulagé d'échapper aux regards inquisiteurs des personnes présentes dans la pièce. 

L'estrade se prolonge derrière le rideau et occupe un espace bien plus vaste que la partie émergée ne le laisse paraître. Le lieu est relativement vide, outre du matériel de son et d'éclairage ainsi que quelques éléments de décors qui laissent à penser que des représentations sont parfois données entre ces murs. Une large porte, qui mène certainement aux coulisses, est encastrée dans la partie droite de la pièce, tandis qu'un escalier en fer noir s'enroule vers le plafond sur la partie gauche de la scène.

Jason se dirige vers ces derniers et grimpe les marches quatre à quatre produisant un vacarme métallique qui résonne contre les parois dénudées de la pièce. J'entame à mon tour l'ascension de l'escalier, d'une manière bien plus légère que le viking qui, lui, fait trembler la structure en fer à chaque pas.

Nous nous retrouvons sur une mezzanine dont l'aspect dénote fortement avec la pierre austère de l'abbaye. L'endroit est d'une taille raisonnable et est entièrement recouvert d'un bois clair, murs et plafonds compris. Des canapés rouge carmin à l'allure confortable sont disposés autour d'une table basse transparente sur laquelle trône un ordinateur portable. Des poufs et des caisses de bois qui font office de tabouret occupent divers endroits de la pièce. Les murs sont décorés par des cadres dans lesquels sont dessinés d'étranges motifs qui pourraient faire office de tatouages. Il y a également un petit îlot derrière lequel est installé un lavabo, un frigo et des plaques électriques ainsi que quelques étagères occupées par diverses victuailles. 

Le viking se laisse choir dans un des canapés qui grince de protestation sous son poids. Le jeune homme aux boucles châtains s'assoit près de lui, raide comme un piquet. J'opte pour un pouf tandis que Jas reste debout et commence à faire les cent pas dans la pièce.

- Bon, par où commencer, grommelle-t-il en se passant la main dans les cheveux si nerveusement que je crains un instant qu'il se les arrache.

- Par le début : Ulysse est le fondateur de notre Ordre, intervient le viking d'un ton calme.

- Oui ! Il était notre modèle à tous ! Renchérit le jeune homme aux cheveux bouclés, les yeux brillants d'excitation. Il nous a offert un lieu sûr et une raison d'être.

Il laisse passer quelques secondes de silence puis me tend la main en s'écriant :

- Au fait je me prénomme Achille, enchanté fils d'Ulysse !

J'hoche la tête et serre la main tendue, peu certain de saisir le sens des mots qui sont prononcés.

- Un Ordre ? Réussis-je à articuler pour l'inviter à poursuivre.

- Oui, l'Ordre des Protecteurs. Sous couvert de religion nous effectuons diverses missions, notre but est de protéger les "purs". Enfin, officiellement nous avons été dissout il y a une vingtaine d'années, mais nous poursuivons l'oeuvre de Ulysse !

- Mon père a fondé une secte ? Je demande, abasourdi.

Jas effectue un claquement sec de la langue, visiblement agacé.

- Absolument pas. Nous n'avons rien à voir avec ces charlatans, d'ailleurs, comme te l'a dit Achille, la religion n'était qu'une couverture. Nos activités relèvent plus de la confrérie que de l'ordre, mais à l'époque de sa création, l'Eglise était puissante. Nous avions besoin d'alliés pour mener à bien nos tâches sans éveiller l'attention. Et quoi de mieux qu'une religion pour justifier les miracles ?

Je plisse les yeux, de quelle époque parle-t-il ?

Comme s'il avait lu dans mes pensées, Jason poursuit :

- L'Ordre a été fondé aux alentours de 1300, après la chute des Templiers. Ulysse tenait absolument à intervenir dans les affaires humaines, surtout pour protéger les "purs". Mais la médecine n'était pas aussi performante qu'aujourd'hui et il était difficile de justifier les guérisons ou enrichissement miraculeux. L'inexplicable s'expliquait par dieu, nous avons donc utilisé cette opportunité afin d'agir.

J'encaisse la nouvelle, effectuant rapidement le calcul. Nous sommes plus de 700 ans après, mon père ne peut décemment pas avoir fondé cet ordre, il doit y avoir une explication.

- Est-ce-que le nom d'Ulysse se transmet ? Est-ce-que chaque dirigeant de l'Ordre s'appelle ainsi ? Demandé-je.

Mon ami se mordille les lèvres et reprend d'une voix plus douce :

- Non, Enzo. Ton père a bien dirigé l'Ordre des Protecteurs pendant près de sept siècles. Les anges sont immortels. 

J'hoche lentement la tête et déglutit.

- Un ange. Comme Esmérya, donc.

Un silence gêné s'installe dans la pièce. Je plisse les yeux et observe l'assemblée, sentant que j'ai mis le doigt sur un point délicat.

- Esmérya est...Un cas particulier. Finit par lâcher Achille en se grattant frénétiquement la tête et en jetant des coups d'œil furtifs à ses camarades.

- Et bien. Nous voilà d'accord sur un point, je réponds dans une vaine tentative de détendre l'atmosphère.

Achille a un petit sourire gêné mais ne dit rien. Je tâche de garder un visage impassible, mais au fond, je meurs d'envie d'en savoir plus. Ainsi donc même ces gens, visiblement habitués au surnaturel, trouvent Esmérya différente ?

Les Ailes de l'EnsorceleuseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant