Cela faisait déjà quelques mois que Tórhildr n'avait plus revu son village natal. Entourée principalement d'hommes, elle aurait peut-être dû se sentir seule, mais ce n'était pas le cas. Le voyage, les raids, les soirées passées à contempler les cieux, à prier Odin, Thor et Frigg, à discuter avec ses compagnons d'armes, c'était pour ce quoi elle était née. Pas rester dans son village, à devoir porter enfant sur enfant, la plupart mourant au bout de quelques mois ou quelques années. Elle-même risquait de mourir en couche pour chacun d'entre eux.
De toute façon, cela ne servait à rien de penser à ce genre de choses. Tórhildr était trop vieille pour penser à se marier. Trente et un printemps avaient déjà passés sur son existence. Quinze depuis qu'elle était devenue une skjaldmö, ou une "Vierge au Bouclier", comme les nommaient les étrangers.
Vierge. Ha ! Quelle plaisanterie. Qui avait dit qu'elle se priverait des plaisirs de la chair, tout cela parce qu'elle se dévouait au combat ? Les hommes pouvaient tout à loisir se laisser aller à la luxure, alors pourquoi pas elle ?
- Tórhildr.
- Qu'y a-t-il, Alfarr ? demanda-t-elle au soldat qui s'approchait d'elle, tandis qu'elle terminait de manger son repas.
- Sigurd demande à tout le monde de se préparer. Il semble que nos prochaines victimes sont plus organisées qu'habituellement.
À cela, la femme leva un sourcil étonné.
- Oh ?
Il était rare qu'ils se heurtent à des troupes. En général, depuis les premiers raids sur le continent, les Francs s'étaient même montrés apeurés face à la puissance des Víkingar. Il était même trop facile de piller les églises, ces temps-ci, remarqua Tórhildr. Peut-être que ce serait là une bonne manière de démontrer une fois encore pourquoi son peuple avait une réputation aussi terrible depuis le règne de Ragnar Lodbrok !
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Le champ de bataille était sanglant, comme c'était toujours le cas. Pourtant, Tórhildr ne put s'empêcher de penser que celui-ci l'était tout particulièrement. Peut-être était-ce parce qu'elle était habituée à ce que leurs victoires se gagnaient trop facilement depuis leur arrivée sur le continent ?
À bout de souffle, elle continua de parer de son bouclier, puis de frapper avec sa lance – plus facile à manier pour une femme que les épées lourdes habituellement utilisées par les guerriers. Son armure commençait à peser lourd sur ses épaules, son bras gauche était endolori, à force de subir le poids des coups. Elle sentait la transpiration couler le long de sa colonne vertébrale, son souffle, déjà rapide, s'accélérer encore, tandis qu'elle se mouvait parmi les corps.
Autour d'elle, elle entendait le fracas du métal contre le métal, le bruit sourd d'un corps qui tombait, parfois. Puis, il y avait l'odeur du sang, de la sueur, qui la prenait à la gorge. Cela devenait difficile pour elle de respirer. Elle n'avait pas peur, jamais cette émotion ne la touchait, pendant ces instants fous, où vie et mort ne tenaient qu'à un geste. Ce qu'elle ressentait, plus que tout, c'était l'excitation de son corps face à une situation difficile. La bataille était son élément.
Soudain, elle sentit son corps se saisir, une douleur fulgurante lui traverser l'épaule droite. Sa gorge se serra, avant que la bile lui monte à la gorge. Sans prévenir, elle vomit un liquide métallique, tandis qu'elle perdait toute sensation du côté droit de son corps. Surprise, elle baissa le regard et découvrit une épée, logée presque entre ses deux seins, avant que l'arme se retire, la laissant pantelante et désorientée.
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Rencontres mythiques
FantasíaChaque histoire courte de ce petit recueil présente la rencontre d'une figure féminine et le surnaturel. Parfois humaine, parfois un mythe elle-même, chaque femme se heurte aux mythes de son époque et de sa société. Attention aux lecteurs plus jeune...