Le vide

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"Il n'y a plus de vie il n'y a que le temps"

Je suis une personne qui a commis une faute. La violence m'a toujours collé à la peau depuis enfant mais je garde une forme d'innocence qui me poussait à ressentir une injustice couplée avec une culpabilité immense. Voici ma descente aux enfers. Un enfant, l'innocence même, a souffert par ma faute. Je lui ai fait du mal physiquement sous prise de médicaments. Mes souvenirs sont flous de cette époque j'ignorais même si j'étais la réelle coupable. A cette période, il y avait eu une plainte sur les réseaux sociaux et ça avait été relayé de nombreuses fois. Tout le monde connaissait mon visage et l'associait à l'adolescente dérangée qui avait commis le pire des crimes. Il y avait même eu des diffusions à la télévision de reconstitution de la scène sordide avec différentes actrices qui jouaient mon propre rôle, souvenirs épars de ces émissions : gros plans sur "mon" visage face à la caméra découvrant mes grands yeux verrons qui n'avaient en rien, me semblait-t-il, la froideur d'une meurtrière.

Quelques années plus tard, à peut être 20 ans, je me retrouve confrontée de nouveau à cette épisode oubliée de ma vie. En effet, est organisé par les personnes concernées par cette affaire une sorte de débat qui précédera mon procès, dans une maison de campagne luxueuse. Nous sommes plusieurs jeunes d'entre 15 et 20 ans qui attendons dans cet appartement l'arrivée de nos parents qui résoudront ou tout du moins débattront de cette affaire et s'occuperont du jugement final.  Ce jugement, en revanche, n'en n'a aucunement l'apparence. La maison semble toute droit sortie d'un conte de fée : meubles boisés et finement ciselés, chambres de princesse avec lit à baldaquin et couvre lit rose à motifs. Et détail étrange : une pièce , sorte de salle à manger miniature, réservée au dîner qui réunira les membres actifs de l'affaire comporte deux magnifiques tables ornées de bougies qui s'apparenteraient plus à accueillir un dîner aux chandelles qu'un débat animé autour d'un violent infanticide. Au fur et à mesure que la journée se déroule je comprend peu à peu que toutes les personnes présentes avant que le dîner ne débute éprouvent une haine viscérale à mon égard. Ils semblent tous touchés au plus profond d'eux-mêmes par cette histoire et veulent me le faire payer à n'importe quel prix.  A plusieurs reprises ces jeunes tentent d'assouvir leur vengeance avec des coups montés des plus tordus tout en voulant me convaincre de leur clémence. Un épisode m'a particulièrement marqué : au bout d'un certain temps, un jeune homme vient me rendre visite dans ma somptueuse chambre. Il s'approche de moi avec un sourire bienveillant et, au cours de notre conversation des plus banales, je comprend que quelque chose ne va pas. Quelque chose de profondément "faux" dans son attitude. Soudain, il ne lui faut que quelques secondes pour enclencher un bouton dans le mur pour qu'une partie du beau parquet s'effondre à mes pieds sous le poids d'un étrange système de tuyaux encastrés dans le mur et que les adorables escarpins immaculés délicatement posés à même le sol descendent d'un étage. Il me précise alors avec un sourire féroce "J'aurais plutôt préféré défoncé le sol avec de grosses bottes cloutés mais je n'en avait pas sous la main" Je comprends qu'il aurait sûrement trouvé cela plus significatif.

Je suis dans l'appartement de mon père me réveille peu à peu dans un lit que je sais être le mien. Le couvre-lit à motif représente un visage d'oiseau bleu de cartoon le bec ouvert arborant un sourire farceur. Je me lève, me regarde furtivement dans la glace suspendue à la porte de ma chambre et l'ouvre. Je retrouve dans le salon mon père, son amie mais également des visages connus mais que je ne saurais associer avec des personnalités qui me sont familières. Ils sont nombreux à débattre de mon cas, d'ailleurs je remarque une pièce plus éloignée qui comporte plusieurs bureaux avec où ils délibèrent et travaillent activement sur la finalité de cette affaire qui semble de premier ordre. Le procès est en cours.

Peut-être quelque jours plus tard je me réveille de nouveau dans cette même chambre et va à la rencontre des personnes présentes dans le salon. J'aperçois d'abord l'amie de mon père et lui-même assis sur des fauteuils dans la pénombre, je discute brièvement et assez froidement avec eux avant d'aperçevoir un enfant d'une dizaine d'années assis à même le sol, très pâle, adossé au sol telle une poupée de chiffon, presque sans vie. Je prends peur. De façon assez évidente cela me ramène à l'épisode de l'enfant que j'ai malencontreusement violenté dont je n'ai pourtant aucun souvenir concret et je ressens une profonde culpabilité qui me paralyse complètement pendant quelque secondes. Il me semble qu'après cela j'apprends que tout va bien pour lui et que même cette évènement n'était que le fruit de mon imagination.  La pièce sombre s'emplie alors de différentes personnes notamment un certain nombre d'enfants en bas âge. Je peux alors ressentir toute l'animosité dirigée contre moi. Soudain un enfant de trois ans environ accours vers moi brandissant ce qui semble être une seringue mortelle. Prise par surprise, j'ai un geste de défense qui va malheureusement amené à ma perte. Je m'empare de la seringue et la plante violemment dans le crâne de l'enfant. Cette fois, me dis je, ça y est je l'ai tué de sang froid je suis la seule coupable, je n'ai plus d'excuse, c'est la fin. C'est alors le moment tant attendu d'assouvir la soif de vengeance qui planant autour de moi. Une femme en blouse blanche se dirige alors calmement mais fermement vers moi tenant dans la main un instrument médical que je ne peux identifié qu'elle m'enfonce dans l'oreille gauche tout en me sussurant à l'oreille : "ça va aller maintenant". Puis elle me prendre l'index et me place dessus un autre instrument médical. A ce moment là je suis persuadée qu'elle va me trancher le doigt pour me punir. Mais soudain je ressens étrangement un grand vide qui remplis peu à peu mon âme toute entière comme si une chose essentielle s'était retirée à jamais de mon coeur. Je m'attendais à ressentir une douleur fulgurante mais seulement ce vide abyssal. Un vide terrifiant, pire que la mort.

"Il n'y a plus de vie, il n'y a que le temps à présent" Voilà que je comprends que j'ai reçu ce que j'ai mérité. Avec une terreur glaçante je sais qu'à jamais je ressentirais au plus profond de moi même ce vide tout droit venu des ténèbres. Ce vide qui emporte tout avec lui.


Pour la troisième et dernière fois, je m'éveille dans cette chambre qui me semble quelque peu différente, peut être plus froide, plus sombre, plus vide. Je m'avance vers le miroir et ce que je vois me terrifie : je ne me reconnais plus, comme si quelque chose de maléfique s'était emparé de moi. Le reflet me renvoie une jeune femme, tête baissée, des cheveux coupés court d'un rouge sombre flottant négligemment autour d'un visage pâle, éteint, sinistre et effrayant. Je comprend qu'une barrière a été franchie, je suis "passée de l'autre côté". J'ouvre la porte, à présent l'appartement est vide. A l'exception de mon père en costume noir debout plongé manifestement dans de la paperasse qui lève les yeux vers moi. Je parle la première : "Je crois que j'ai compris ce qui est arrivée." Des larmes de profonde douleur commencent à couler sur mes joues glacées. "Déjà petite, j'ai été violente avec des enfants plus jeunes que moi. Et je sais que je fais du mal aux personnes qui m'entourent. " Mon père répond arborant un air de pitié, compatissant : " Ca arrive à tout le monde d'être violent et n'oublie pas tu étais sous médicaments". Son discours bien que simple et bref me touche profondément et ma culpabilité à son égard n'en devient que plus grande.

Mais maintenant je sais, je suis certaine  que je suis la seule responsable de mes actes et que je serais forcée de l'accepter et de vivre avec cette culpabilité qui me ronge de l'intérieur et qui dévorera mes entrailles jusqu'à ce qu'il ne reste plus que... le vide.

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⏰ Last updated: Aug 15, 2019 ⏰

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